vendredi 5 avril 2013

La mort de la mort. Numéro 48. Mars 2013.


Les dépenses en recherche et développement contre la calvitie sont plus de 100 fois importantes que celles utilisées pour guérir du vieillissement. Nous pourrions un jour nous retrouver avec une durée de vie augmentée comme effet collatéral non souhaité d'une pilule destinée à faire pousser abondamment nos cheveux (traduction). Aubrey de Grey, biogérontologiste (à propos des dépenses spécifiquement destinées à lutter contre le vieillissement, pas à propos de toutes les recherches médicales liées au vieillissement).

Thème du mois: Le mystère des supercentenaires.

Un centenaire est une personne âgée de 100 ans au moins. Le nombre des citoyens qui a atteint cet âge est en croissance rapide. Les statistiques précises manquent dans de nombreux pays mais ils sont en tout cas plusieurs centaines de milliers de par le monde. Ils sont par exemple environ 20.000 en France, environ 1.000 en Belgique et près de 50.000 au Japon.

Un supercentenaire est une personne âgée de 110 ans au moins. Le nombre des citoyens qui a atteint cet âge est très réduit. Actuellement, sur l'ensemble de la planète, il n'y a que quelques centaines de personnes qui prétendent avoir cet âge et moins de 100 pour lesquelles cet âge est établi avec certitude. Il est important de savoir que toutes les affirmations quant à des âges beaucoup plus élevés (130, 140, 150 ans et plus) sont – presque – certainement fausses.

Autrement dit, alors que devenir centenaire est maintenant un événement devenu relativement banal, que les maisons de retraite et les municipalités n'organisent plus guère de fêtes lorsque leurs résidents atteignent cet âge, par contre, atteindre l'âge de 110 ans reste exceptionnel. 

La probabilité d'atteindre cet âge est négligeable, même pour les individus qui ont au départ le plus d'atouts. Même dans les pays les plus riches, pour les femmes ayant une bonne hygiène de vie, bénéficiant depuis des décennies d'un environnement médical adapté, d'une famille attentive et d'un bon équilibre psychologique, la chance d'atteindre cet âge reste dérisoire.

Et pour ces quelques miraculés, l'avenir n'est pas rose. L'espérance de vie à 110 ans est d'à peine une année.

Pour illustrer encore cette chute spectaculaire de la santé après 110 ans, il faut savoir qu'il n'y a plus, en mars 2013, que 13 personnes vivantes dans le monde dont il est certain qu'elles étaient déjà nées avant l'an 1900. La personne la plus âgée au monde actuellement n'a "que" 115 ans. Il s'agit de monsieur Jiroemon Kimura, il est japonais comme de nombreux supercentenaires. Jamais une personne de sexe masculin n'a vécu aussi longtemps mais plusieurs femmes ont vécu bien plus longtemps dont Jeanne Calment, décédée en 1997 à l'âge de 122 ans.

Il serait presque tentant de citer la Genèse (6-3) comme précurseur scientifique: Dieu dit "Que mon esprit ne soit pas indéfiniment responsable de l'homme, puisqu'il est chair; sa vie ne sera que de 120 ans"! Mais en fait, au temps de la rédaction de la Bible, il semble certain que personne n'avait encore atteint cet âge.

Pourquoi utiliser le terme "mystère" dans cette lettre à propos des supercentenaires alors que la mort de maladies liées au vieillissement est une évolution naturelle des êtres humains qui échappent aux autres causes de décès? 
  • Parce que pour les personnes âgées de 60 ans et plus, l'espérance de vie continue à croître nettement. Ainsi, l'espérance de vie à 60 ans en France en l'an 2000 était de 20,4 ans supplémentaires pour les hommes et de 25,6 ans pour les femmes. En 2012, elle est passée à 22,6 ans (+2,2 années) pour les hommes et à 27,2 ans (+ 1,6 année) pour les femmes.
  • Parce que l'encadrement dans les maisons de retraite et la connaissance des problèmes spécifiques concernant les personnes les plus âgées s'améliorent (personnel mieux formé et plus nombreux). 
  • Parce que les traitements médicaux concernant notamment les centenaires et les supercentenaires deviennent plus performants.
Plusieurs éléments d'explication techniques déjà abordés dans une lettre précédente (la mort de la mort, décembre 2011) peuvent être apportés pour tenter d'expliquer la stagnation du nombre des supercentenaires:
  • L'accident statistique. Etant donné le très petit nombre de supercentenaires, les fluctuations de ce nombre pourraient ne pas être significatives. 
  • Un meilleur contrôle des informations relatives à la date de la naissance aurait pour conséquence que de moins en moins de personnes exagérant leur âge sont reprises dans les statistiques.
Ces explications sont toutefois peu satisfaisantes. Les supercentenaires sont maintenant suivis depuis suffisamment longtemps pour avoir une base statistique assez fiable. Au fur et à mesure que les états civils s'améliorent, il devrait y avoir plus et non pas moins de cas validés. Enfin, il y a 110 ans, le nombre de naissances augmentait déjà assez rapidement. Même à mortalité constante par application d'une simple règle de trois, le nombre de "survivants" atteignant 110 ans en 2012 (et donc nés en 1902) devrait être supérieur aux nombre de "survivants" ayant atteint l'âge de 110 ans en l'an 2000 et donc nés en 1890).

Les hypothèses d'erreurs de mesure étant écartées, il faut passer aux aspects de santé proprement dits.

L'arrêt total des cas de survie après 120 ans semble faire suite à un ensemble de phénomènes de dégradations et d'accumulations. La frontière de la durée de la vie humaine à ces âges pourrait notamment être imposée par l'amylose, maladie liée aux agrégats de molécules dans les tissus, et encore peu étudiée. Il semble que cette maladie atteint (presque?) tous les supercentenaires.

Mais il reste à expliquer pourquoi cette maladie aurait un impact plus important aujourd'hui qu'hier.

La modification des habitudes alimentaires pourrait être envisagée comme explication. Cependant l'alimentation trop riche ne se produit pas partout en même temps. De  plus, l'obésité est un phénomène relativement récent. Les supercentenaires d'aujourd'hui étaient déjà des pensionnés à la fin des années 60 aux habitudes alimentaires déjà déterminées.

L'explication la plus raisonnable concerne – malheureusement – des développements liés aux progrès technologiques, à savoir une aggravation de certaines formes de pollution ayant des effets nocifs uniquement sur le très long terme. Beaucoup de substances à la toxicité reconnue sont de moins en moins présentes dans l'environnement ces dernières années (mercure, particules radioactives, amiante,...) mais il y a peut-être un "tueur silencieux" que nous n'avons pas encore détecté. Il pourrait s'agir de matières à la toxicité peu connue qui se combineraient progressivement dans le corps pour former des "cocktails" toxiques. Etant donné que l'évolution est globale, les particules fines dont la concentration et la nocivité sont croissantes ces dernières décennies paraissent la cause la plus envisageable. 

Que ce soit une substance toxique ou non, la ou les raisons de la stagnation pour les supercentenaires sont inconnues à ce jour et ne font même pas l'objet de véritables recherches. Pourtant, au fur et à mesure que nous gagnons des mois et des années d'espérance de vie, chez les septuagénaires, les octogénaires puis les nonagénaires, comprendre ce qui se passe chez les plus âgés devient plus important pour progresser encore. 

Malgré les efforts des écologistes et d'autres responsables, certains produits potentiellement toxiques dont les particules fines continuent à se répandre et sont déjà dans les organismes de tous les citoyens du monde. Combiner une bonne hygiène de vie et des conditions socio-économiques correctes ne suffirait pas pour vivre au-delà de 110 ans, que la cause de l'arrêt de la vie humaine à cet âge soit naturelle ou industrielle. Nous pouvons même envisager que, si des progrès médicaux n'interviennent pas, la dégradation de l'environnement pèse de plus en plus sur les citoyens les plus âgés. Seuls des progrès de la médecine pourraient permettre d'aller au-delà particulièrement pour les adultes d'aujourd'hui qui ont déjà les polluants dans leur corps. C'est un des enjeux majeurs de ces prochaines années et décennies en termes économiques mais surtout en termes de bien-être et de santé publique. 

La bonne nouvelle du mois: Colloque d'Ecolo (verts belges) à propos d'une vie plus longue en bonne santé


Le 29 mars à Bruxelles, Ecolo (verts francophones belges) et Etopia (centre d'animation et de recherche d'Ecolo) ont organisé un colloque intitulé "Vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé. Pourquoi, pour quand, pour qui ? Quels risques et quels avantages ?". Ce colloque a notamment donné la parole à Muriel Gerkens, parlementaire fédérale belge spécialisée dans le domaine de la santé et à Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo et auteur du livre "La mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l’humanité." C'est une des premières fois qu'un parti politique francophone s'intéresse à ce type de question.
  

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