samedi 31 mai 2014

La mort de la mort. Lettre de mai 2014. Numéro 62.

Je fais partie de ceux qui ne regrettent pas leur jeunesse (je l'ai vécue avec bonheur, mais je ne voudrais pas recommencer depuis le début), car je me sens plus riche aujourd'hui qu'autrefois. Or, songer que, à ma mort, toute cette expérience sera perdue est pour moi une source de souffrance et de crainte. Même si je me dis que mes descendants en sauront un jour autant que moi, si ce n'est plus, cela ne me console pas. Quel gâchis, des dizaines d'années à construire une expérience et puis tout perdre! C'est comme brûler la bibliothèque d'Alexandrie, détruire le Louvre, laisser s'enfoncer dans la mer, la très belle, très riche et très savante Atlantide. Umberto Eco. La mort et l'immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances. 2004.

Longévité: l'âge de ses artères?

Le sang qui coule dans nos artères constitue moins d'un dixième de la masse corporelle. C'est un liquide constitué principalement de globules rouges, de globules blancs, de plaquettes sanguines et de plasma qui circule pratiquement partout dans notre organisme. Détient-il des secrets en matière de rajeunissement?

Brève histoire des usages culturels et thérapeutiques du sang 

Dans la plupart des cultures, le sang a une signification spécifique. Il peut représenter la vie elle-même, être un symbole de la jeunesse ou au contraire faire l'objet d'interdits. Parfois dans les civilisations qui pratiquent la mise à mort d'animaux, il sera conservé à part après le sacrifice pour être consommé ou pour servir à des divinations. Pour la religion catholique, le vin de messe se transforme en sang (ceci est appelé "transsubstantiation"). Pour les religions musulmane et hébraïque par contre, l'animal doit être vidé de son sang avant d'être consommé. 

Enfin, le sang a été perçu comme un symbole inaliénable de la proximité héréditaire se transmettant sans disparaitre de génération en génération. Ainsi l'expression "frères de sang" sera utilisé pour des frères biologiques et le terme "sang bleu" désignera les nobles. Le "mélange des sangs" notamment chez certains peuples amérindiens se fera en faisant entrer en contact le sang de deux individus.

A côté des usages symboliques ou en complément de ceux-ci, le sang, a été perçu depuis fort longtemps par certains comme un liquide permettant la régénération.

Les vampires, créatures mythiques, se nourrissant du sang d'autres personnes, se retrouvent dans de nombreuses cultures, même si le terme de "vampire" pour désigner ces êtres, ne date que du 18ème siècle.

Etant donné que les battements du cœur et la circulation du sang sont, après la respiration, les signes les plus tangibles de la survie d'un être humain inconscient, il est logique que les premières tentatives de transfert de sang vers une personne malade aient été très anciennes. Une des premières tentatives eut probablement lieu en 1492. Le pape Innocent VIII aurait bu le sang de trois jeunes enfants de 10 ans. Ni les enfants, ni le pape ne survécurent. Les premières transfusions avec un taux de réussite raisonnable n'auront lieu qu'au cours de la première guerre mondiale, lorsque les groupes sanguins seront connus.

Mais le suc de la vie a aussi été perçu depuis des temps très lointains comme pouvant être trop abondant. Pendant deux millénaires, l'extraction du sang a été considérée comme une pratique thérapeutique majeure. Les mésopotamiens, les égyptiens, les grecs anciens, les romains, les médecins du moyen-âge et même les médecins de la Renaissance étaient convaincus que l’équilibre du métabolisme humain pouvait être amélioré en retirant une partie du fluide indispensable à la vie. La saignée, et également au 19ème siècle les sangsues absorbant du sang, ont été utilisés pour soigner d'innombrables maladies et même dans un but prophylactique. La pratique ne sera progressivement abandonnée qu'au cours du 19ème siècle et même aujourd'hui certains praticiens de médecines dites "traditionnelles" ou "naturelles" l'utilisent encore.

Il est fascinant de constater que cette branche majeure de la médecine a traversé autant de cultures différentes. Ceci alors que, sauf cas très particuliers de certaines maladies du sang et d'hypertension, la santé des patients ne s'en trouvait aucunement améliorée et alors que, bien sûr, les risques d'affaiblissement et d'infection étaient considérables. Il a fallu attendre la vérification statistique de l'inefficacité pour que la thérapie faiblisse enfin. Ceci rappelle, s'il en est besoin, combien les thérapies perçues à un moment donné de toute bonne foi comme naturelles, immémoriales et établie par des praticiens reconnus, peuvent être dangereuses, en l'absence de vérification expérimentale.

Thérapies et réjuvénations envisageables aujourd'hui

Depuis environ un siècle, la transfusion sanguine est maîtrisée. Il est utile de constater que, à l'exception de témoins de Jéhovah, très peu de citoyens sont réticents aux transfusions pour des raisons éthiques, alors même qu'il s'agit d'une approche thérapeutique profondément invasive, puisque presque chaque cellule de notre corps finira par être irriguée par ce corps étranger.

Actuellement, les transfusions sanguines entre personnes (ou la transfusion dite "autologue", c'est-à-dire la transfusion par une personne de son propre sang qui a été "stocké" en un lieu) ne sont en principe effectuées que pour pallier à des manques physiologiques dans le cadre d'affections. La seule exception non anecdotique est l'utilisation de sang pour améliorer des performances sportives, mais cette pratique est illégale en compétition.

Le sang pourrait-il un jour être utilisé spécifiquement dans le but d'allonger la durée de vie des femmes et des hommes n'ayant pas une affection déterminée? Etant donné son ubiquité, c'est une évolution imaginable en modifiant les cellules et substances qui le composent.

Durant ces derniers mois, deux découvertes scientifiques intéressantes liées au système sanguin et à la longévité ont été décrits.

Hendrikje van Andel-Schipper, une citoyenne néerlandaise décédée en 2005 à l'âge de 115 ans a été la personne la plus âgée au monde à avoir donné son corps à la science. Les recherches permises grâce à l'examen de son organisme se sont achevées récemment. A son décès, il semble que toutes les cellules de son sang ne provenaient plus que de deux cellules-souches alors qu'un organisme normal en possède beaucoup plus. La presse a relaté que cette personne était encore en bonne santé mais est décédée principalement parce que les cellules de son sang ne pouvaient plus se régénérer. En voyant des photos de la personne, on s'aperçoit cependant tout de suite que l'expression "bonne santé" est à prendre de manière très relative, par comparaison avec d'autres personnes très âgées.

Des chercheurs de Harvard considèrent que le sang de jeunes souris pourrait améliorer l'état de santé ou en tout cas les indicateurs métaboliques de souris âgées. Dans une expérience menée en Grande-Bretagne, des souris âgées se sont vues transférer le sang de souris jeunes en établissant une circulation commune par paire (une souris jeune, une souris âgée). Après quelque temps, il a été constaté que le métabolisme des souris âgées s'était amélioré. Selon les chercheurs, des thérapies similaires pourraient être un jour envisagées chez des êtres humains, par le biais de transfusions. Cela ouvrirait notamment des pistes en ce qui concerne la cognition des personnes atteintes d'Alzheimer. Il faut cependant remarquer:
- que cela supposerait de nombreux progrès médicaux pour la production de sang humain
- que les tests sur les souris n'ont pas porté sur l'espérance de vie proprement dite des souris, mais uniquement sur les indicateurs métaboliques peu après la transfusion.

Il serait cependant assez logique, notamment compte tenu des éléments cités, de penser que des thérapies basées sur des transfusions aient un avenir, non seulement pour lutter contre des maladies ou des manques, mais également pour allonger la durée de vie. Dans une vue plus prospective et à plus long terme, il est aussi possible d'imaginer qu'un jour le sang transfusé soit un liquide dans lequel des nanorobots seront introduits et se répandront dans la quasi-totalité de l'organisme pour agir là où ils sont nécessaires. En ce qui concerne les maladies neuro-dégénératives, ces minuscules appareils seraient amenés par le sang jusqu'à la barrière hémato-encéphalique qu'ils pourraient franchir ensuite, grâce à leur petite taille, comme les nutriments et substances amenés par le sang le font déjà.

Bonne nouvelle du mois: Les statistiques de l'OMS démontrent que l'espérance de vie continue à progresser presque partout dans le monde.

N'en déplaise aux pessimistes, malgré les pollutions, l'obésité et le développement de certaines affections, au Nord comme au Sud, à l'est comme à l'ouest, l'espérance de vie continue à progresser. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de publier des statistiques mondiales portant sur la période 1990 - 2012.
Du citoyen du Libéria qui a gagné 20 ans d'espérance de vie, mais pour espérer vivre seulement 62 ans, à la femme japonaise dont la durée de vie moyenne est désormais de 87 ans, environ 4 ans de plus qu'en 1990, les progrès sont bien plus rapides que ce que la majorité des citoyens pensent, même s'ils sont bien inférieurs à ce qui serait possible si la recherche pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue devenait une priorité majeure.

Pour en savoir plus

jeudi 22 mai 2014

Lettre aux électeurs pour le 25 mai 2014: pour un choix écologiste, progressiste et démocratique

Dans quelques dizaines d'heures, vous pourrez voter pour les élections régionales, fédérales et européennes. 

J'ai choisi, il y a déjà près de 25 ans, de militer pour Ecolo et pour Groen, les composantes belges du parti vert européen, parce que, à mon avis, les Verts sont le mouvement qui peut le mieux promouvoir l'intérêt de tous, aujourd'hui et demain, au Nord et au Sud, sans distinction de race, de naissance, de sexe ou d’origine. Vivre ensemble, ce n'est pas toujours facile mais c’est passionnant.

Cette foi
s, comme pour des élections précédentes, je vous propose de voter pour les partis les plus à gauche et les plus éthiques présents dans les parlements. Je vous invite aussi, si vous avez un peu de temps, à consulter les programmes d'Ecolo et de Groen. Le programme complet d'Ecolo est ici et celui de Groen est ici.

Je connais de nombreux très bons candidats verts sur des listes un peu partout en Belgique. Choisir, c'est renoncer, je voterai notamment au niveau européen pour Philippe Lamberts et Saskia Bricmont, au niveau fédéral pour Alexis De Boe et Oriane Todts et au niveau régional bruxellois pour Alain Maron et Anne Herscovici.
Les verts dans les majorités et dans les oppositions sont loin d'être parfaits et parfois la volonté d'innovation s'émousse, la frilosité s'installe et l'efficacité est relative. Mais nous restons plus ancrés à gauche et plus souvent plus actifs, plus incisifs et plus porteurs de propositions. Là où des écologistes sont parlementaires ou ministres, ils s'investissent, généralement sans cumuler, abondamment et avec conviction. 

Inutile de nier qu'un groupement plus à gauche a aujourd'hui une place sur l'échiquier politique. Malgré des accents intéressants, il s'agit essentiellement d'une formation insuffisamment démocratique. Par ailleurs, son espérance de vie parlementaire est assez faible, à l'instar des autres formations d'extrême-gauche européenne qui viennent avec fracas et s'en vont sans laisser beaucoup de traces.

Et voici maintenant l'aspect le plus important puisque voter pour un parti, c'est d'abord voter pour un programme qui devra(it) servir de base à l'activité politique des prochaines années. Voici trois courts extraits des 808 pages du programme écologiste parmi des centaines de propositions:

A propos de l'enjeu majeur de la fiscalité:

Ecolo propose de globaliser les revenus en ajoutant à la déclaration d’impôt les revenus financiers et en les taxant via un même barème d’imposition progressif.
(...)

Dans le même objectif de renforcer la progressivité de l’impôt et en complément de la globalisation des revenus, Ecolo propose de réintroduire des tranches d’impôt supérieures à 50 % pour les revenus les plus élevés, à partir de 250 000 € imposables qui correspondent à la rémunération maximale du secteur public.

(...) une réforme de l’impôt doit ainsi rendre le système fiscal (...) mieux conçu pour favoriser les comportements vertueux et décourager les comportements néfastes. Que ce soit en matière d’environnement ou de financement de l’économie réelle, le système fiscal a une fonction incitative et une fonction dissuasive, fonctions qu’il convient de revoir et d’améliorer. Ecolo veut un système fiscal qui favorise la transition écologique de la société et le développement d’une économie durable, solidaire et riche en emplois convenables.


A propos de mon sujet favori (des deux prochains siècles :-)), une vie plus longue en bonne santé:

L’horizon politique d’Ecolo en matière de bioéthique. Face à la diversité des trajectoires technologiques possibles, les pouvoirs publics doivent organiser  le débat démocratique en prenant en compte leur pertinence dans un objectif de transition durable de nos sociétés. Certaines options technologiques doivent être renforcées lorsqu’elles permettent  aux femmes et aux hommes de vivre mieux, plus durablement, plus pacifiquement et plus longtemps. D’autres doivent pouvoir être abandonnées ou reportées, en application des principes  de prudence et de précaution. Par ailleurs, les discussions éthiques fondamentales doivent être abordées de manière non dogmatique

A propos de démocratie au niveau mondial, parmi les propositions relatives à la réforme de l'ONU:

Envisager la création à terme d’une assemblée parlementaire des Nations Unies afin de renforcer la nature démocratique, la responsabilité démocratique et la transparence de la gouvernance mondiale et de permettre une plus large participation des citoyens aux activités des Nations Unies. Le processus de création de cette assemblée doit associer les acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux.

En conclusion prospective:

Je vous invite aussi dès le lundi 26 mai 2014 à être exigeant vis-à-vis des partis et des élus. Et ceci en ne vous demandant pas seulement ce que les politiques peuvent faire pour vous mais aussi ce que vous pouvez faire pour que les élus participent à un monde plus solidaire.

Didier Coeurnelle
Citoyen bruxellois, belge, européen et surtout citoyen du monde, délégué syndical, écologiste, (techno)progressiste et quelques petites choses encore

jeudi 1 mai 2014

Plaidoyer progressiste et technoprogressiste du 1er mai pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue pour tous (Ceci n’est pas un tract électoral du 22ème siècle)


Toute personne a le droit (...) de participer aux progrès scientifiques et aux bienfaits qui en découlent. Article 27 de la Déclaration universelle des Droits de l'homme.

Depuis le 1er mai 2013, l'espérance de vie en bonne santé a augmenté de près d'un trimestre dans le monde. La durée moyenne de la vie des hommes et des femmes en Belgique est maintenant de 80 ans. Des millions de citoyens de Belgique et du reste du monde qui seraient morts au cours des douze derniers mois sans progrès de santé et croissance économique coulent aujourd'hui des jours relativement paisibles.

Jusqu'à la première moitié du siècle passé au moins, le désir de progrès technique et le désir d'égalité sociale étaient liés. La gauche rêvait de lendemains qui chantent. Ces lendemains étaient faits de plus d'égalité, de plus de biens et d'un monde plus facile à vivre matériellement et technologiquement.

Aujourd'hui, malheureusement, les progressistes ne rêvent plus guère de progrès technique, sauf dans une certaine mesure pour les énergies renouvelables. C'est probablement dû notamment au traumatisme de l'échec de l'Union soviétique qui se réclamait du communisme et du progrès technique. Par ailleurs, le développement des pollutions et le réchauffement climatique ont mené beaucoup de progressistes à vouloir "renverser la vapeur" là où il fallait plutôt la purifier et donc orienter autrement. Il y a enfin la peur que les progrès augmentent les inégalités.

Pourtant, contrairement à ce que beaucoup pensent, l'accélération du bien-être est non pas moindre, mais plus grande dans les pays du Sud. La mortalité infantile qui était une source majeure de décès poursuit sa diminution. La pauvreté multidimensionnelle décroit rapidement.

Dans ce cadre de progrès humains globaux sans équivalent dans l'histoire de l'humanité, le téléphone mobile est passé en vingt ans du statut de bien de luxe à celui d'outil utilisé par la majorité des citoyens du monde. Un milliard de smartphones ont été vendus en 2013. Bien avant la fin de cette décennie, la majorité des citoyens devrait avoir accès à des mobiles connectés à internet. Une part énorme des connaissances collectives universelles sera accessible à une large majorité des habitants de la planète. Ceci pourra se faire presque sans coût et sans discrimination, surtout si les progressistes se mobilisent en faveur de progrès techniques pour tous.

Dans les développements à court et moyen terme, les (techno)progressistes pourraient exiger que chaque citoyen ait droit à un téléphone dit intelligent (avec des rayonnements faibles, mais avec des accès forts à des services collectifs). Ils pourraient proposer que Google et Wikipédia fonctionnent comme des services publics de plus en plus développés. Enfin, ils pourraient réfléchir à l'impact des imprimantes 3 D en termes d'accessibilité et de diffusion de biens.

Une gauche proactive devrait exiger des investissements publics importants pour permettre à tous de vieillir beaucoup moins. Aujourd'hui les différences entre espérances de vie au Sud et au Nord s'amenuisent. Mais si les résultats des recherches pour une meilleure santé et une vie plus longue ne sont pas publics, les progrès seront probablement d'abord réservés aux plus aisés, seuls capables de s'offrir les soins et de vivre là où la pollution et les particules fines sont moindres.

En 2014, les investissements publics en faveur de la longévité sont limités alors que Google et d'autres sociétés placent des sommes importantes et engagent des chercheurs renommés dans ce domaine. Cela crée un risque de renforcement des inégalités.

A l'inverse, chaque centime de financement public utilisé avec succès pour des progrès médicaux en matière de lutte contre les maladies liées au vieillissement peut bénéficier un jour à toute personne âgée. C'est donc l'investissement collectif le plus solidaire imaginable actuellement, un bénéfice potentiel pour des milliards de femmes et d'hommes sans distinction de nationalité, d'origine, de capacité financière,...

Une gauche favorable aux progrès devrait donc exiger des avancées technologiques collectives beaucoup plus rapides dans les domaines de la recherche médicale.

Il est vrai que ces progressions gigantesques ne résolvent pas (encore?) tous les problèmes de bien-être. Ceci s'explique notamment parce que l'abondance est un instrument insuffisant pour permettre le bonheur de tous. De plus, au-delà d'un certain niveau de confort matériel, la perception du bien-être se fait presque exclusivement par comparaison avec le niveau matériel des autres, lequel niveau progresse aussi. Il restera donc un jour à la gauche (et pas qu'à elle) à découvrir comment augmenter le bonheur dans une économie d'abondance où le lait et le miel couleront tellement à flot pour tous que cela ne suffira plus à nous satisfaire.

Pourquoi encore la gauche doit-elle être technoprogressiste? Pour développer l'égalité (radicale) du futur dans un monde où le travail tel que nous le connaissons sera de moins en moins nécessaire. Mais aussi parce que les progressions technologiques rapides comprennent des risques immenses dans les développements contemporains (pollutions, effets de serre, risques pour la vie privée, fracture numérique,...) mais également dans les développements à moyen terme. Ces risques, beaucoup moins souvent abordés, sont des risques existentiels liés à la maîtrise de plus en plus absolue de la structure du vivant, de la matière et peut-être à terme au développement de l'intelligence artificielle. Et le principe de précaution dans une société évoluant, ce n'est pas toujours arrêter les modifications technologiques, cela peut-être au contraire les accélérer pour sauver des vies et diminuer des risques.

Pour que le progrès technique ait le plus de chance d'être aussi un progrès tout court, pour que les lendemains extraordinaires soient aussi des lendemains qui chantent, un des éléments favorables est une gauche proactive, capable de faire primer paix, égalité, justice et souci du bien commun sur les intérêts financiers et matériels à court terme. Peu de politiques de gauche semblent l’avoir compris.

Il faut penser globalement pour agir localement. Il faut aussi penser à long terme pour agir à court terme. La question n'est plus de savoir si les progressions technologiques vont permettre une vie beaucoup plus longue en bonne santé, mais de réfléchir collectivement aux conséquences, de permettre à tous ceux qui le souhaitent de vivre plus longtemps et de maîtriser les risques. La science-fiction d'aujourd'hui, rêve ou cauchemar, voire plus probablement rêve et cauchemar, ne sera pas seulement la réalité de nos enfants, c'est aussi la nôtre.



La mort de la mort. Lettre d'avril 2014. Numéro 61.

Car elles [les lois de la physique] m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie (...). Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament, et de la disposition des organes du corps que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher. Descartes. Discours de la méthode. 1637.

Thème du mois: Douze idées fausses à propos de la longévité humaine.


Cette lettre est consacrée aux erreurs les plus fréquentes relatives à la longévité et au vieillissement que l'on rencontre dans l'opinion publique en Europe francophone.

1. Certains êtres humains dans des pays lointains vivent 130 ans et plus

La personne qui a vécu le plus longtemps, de manière certaine, est Jeanne Calment, décédée en France en 1997 à l'âge de 122 ans. Aujourd'hui, la personne la plus âgée au monde n'a "que" 116 ans. Très souvent, les familles de personnes âgées notamment dans des pays d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine affirment que leur aïeul dépasse largement cet âge, mais il n'existe pas de preuve car les registres de l'état civil n'existaient pas lors de la naissance alléguée. Etant donné que, pour les personnes âgées de 110 ans et plus, la mortalité par année approche les 50 %, étant donné que les centenaires sont proportionnellement beaucoup plus nombreux dans les pays riches que dans les pays pauvres, la prochaine fois que vous lirez une information dans un média à propos d'une personne ayant dépassé l'âge de 130 ans, vous aurez appris quelque chose, non pas à propos de l'âge d'une personne, mais à propos de la non fiabilité de votre source d'information.

2. Aux Etats-Unis, l'espérance de vie diminue

Si vous faites une recherche en ligne avec les mots "espérance de vie" et "Etats-Unis", vous trouverez de nombreux articles relatifs à une diminution de l'espérance de vie dans ce pays. Mais il s'agit uniquement d'une diminution de l'espérance de vie en 2010: un accident statistique comme il en arrive de temps à autre. Il est par contre exact que l'espérance de vie aux Etats-Unis est plus courte de quelques années par rapport à celle des pays d'Europe occidentale - alors que les dépenses en soins de santé aux Etats-Unis sont bien plus importantes qu'en Europe.

3. La vie humaine est de plus en plus longue, mais la vie en bonne santé est de plus en plus courte

En Europe occidentale, nous gagnons chaque année entre 2 et 3 mois d'espérance de vie. C'est établi par des statistiques précises et montrant une évolution régulière depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les statistiques relatives à l'espérance de vie en bonne santé sont moins précises, plus subjectives et montrent de plus fortes variations. La presse a tendance à se faire l'écho surtout des diminutions constatées. En fait, il est peu contesté que l'espérance de vie en bonne santé croit globalement. Il semble que pour 4 années de vie gagnées, 3 de ces années sont des années de vie en bonne santé, mais il se pourrait que ce soit un peu plus ou un peu moins. Il est exact que, suite aux maladies neuro-dégénératives (principalement la maladie d'Alzheimer), beaucoup d'années de fin de vie sont des années en mauvaise santé. Par contre, de nombreuses maladies liées au vieillissement sont en moyenne moins invalidantes aujourd'hui qu'autrefois (rhumatismes, arthrose, maladies cardio-vasculaires,...).

4. Nous mourons de plus en plus souvent du cancer et de maladies cardio-vasculaires

C'est totalement faux pour les maladies cardio-vasculaires. Le nombre de décès suite à ces maladies décroit rapidement grâce aux progrès médicaux. C'est aussi globalement inexact pour les décès suite aux cancers pour des personnes d'âge égal. En ce qui concerne cette maladie, il apparait que certains types de maladies sont plutôt en croissance tandis que d'autres sont probablement en déclin. Mais il apparait surtout qu'une fois un cancer constaté, la durée moyenne de vie est de plus en plus longue pour la plupart des personnes atteintes (leurs chances de survie ont donc augmenté). Une personne ayant, par exemple, 50 ans a donc moins de chance de mourir d'un cancer aujourd'hui qu'hier. Mais étant donné que nous vivons de plus en plus longtemps et que le nombre de cancers et la mortalité due au cancer augmentent avec l'âge, la mortalité globale relative au cancer reste relativement stable.

5. Nous mourons de plus en plus souvent de nouvelles maladies

Les progrès technologiques ne présentent pas que des avantages. Les nouveaux produits, les nouveaux environnements de travail,... peuvent provoquer de nouvelles affections. Il arrive également que des questions de santé qui étaient auparavant non traitées soient aujourd'hui plus étudiées. Certaines affections nouvelles peuvent être mortelles, mais le nombre de décès nouveaux est très inférieur au nombre de vies épargnées grâce aux progrès de la médecine et des conditions de vie. D'ailleurs, pour ce qui concerne les maladies avant 50 ans, c'est-à-dire avant que l'organisme ne commence à être touché par le vieillissement, les décès sont aujourd'hui exceptionnels. La majorité des personnes qui meurent avant cet âge succombent suite à d'autres causes: accidents de la route, suicides, violences,...

6. Le plus important pour vivre longtemps en bonne santé, c'est de manger sainement et de faire de l'exercice suffisamment


C'est bien sûr utile et important de bien se nourrir et de faire de l'exercice. Mais la durée moyenne de vie est d'abord influencée par le lieu où vous vivez (votre pays de résidence), vos parents (choisissez les bien!) et enfin par le moment de votre naissance puisque plus vous êtes nés récemment, plus votre espérance de vie est longue grâce aux progrès de la médecine.

7. Une bonne alimentation et une bonne hygiène de vie permettent d'écarter le risque de maladies dégénératives, notamment la maladie d'Alzheimer

C'est malheureusement faux. Une bonne alimentation et une bonne hygiène de vie sont des facteurs de nature à permettre une augmentation raisonnable de la durée de vie en bonne santé. Ils ont peut-être une certaine influence sur la maladie d'Alzheimer, mais si c'est le cas, uniquement en la retardant quelque peu. Pour diminuer réellement l'impact des maladies neurodégénératives, rien n'est actuellement réellement envisageable en dehors des mesures palliatives et, surtout, des recherches médicales.

8. Si nous vivons plus longtemps, la terre sera surpeuplée

Cela semble logique. En réalité, s'il y a bien une très forte corrélation entre espérance de vie et surpopulation, c'est dans le sens inverse de celui intuitivement escompté. C'est dans les pays où l'espérance de vie est la plus faible, c'est-à-dire principalement l'Afrique subsaharienne que la croissance démographique est galopante. Là où l'espérance de vie est élevée, comme en Europe occidentale ou au Japon, il n'y a pas de problème de croissance trop rapide de la population. Au contraire, beaucoup de citoyens s'inquiètent d'une population déclinant en nombre. En fait donc, pour l'écrire de manière qui apparait un peu provocatrice, jusqu'ici, le meilleur moyen de lutter contre la surpopulation est d'augmenter l'espérance de vie.

La diminution de la natalité liée à l'augmentation de l'espérance de vie n'est absolument pas limitée aux pays riches. Ainsi au Bangladesh, un des Etats les plus pauvres du monde, l'espérance de vie a cru de 14 ans les 30 dernières années et, durant la même période, le nombre d'enfants par femme est passé de 6,2 à 2,2.

9. Le vieillissement est une problématique réservée aux habitants des pays riches, ailleurs les citoyens doivent simplement survivre

Cette situation était encore exacte il y a une trentaine d'années mais plus à l'heure actuelle: dans le monde, parmi les 150.000 personnes qui mourront aujourd'hui, plus de 100.000 mourront de maladies liées au vieillissement. Les décès par malnutrition sont encore beaucoup trop nombreux mais presque partout dans le monde à l'exception de l'Afrique subsaharienne, tous les décès rassemblés suite aux malnutritions, aux maladies infectieuses, aux violences,... sont beaucoup moins nombreux que les décès suite à la vieillesse.


10. Les progrès de l'espérance de vie concernent d'abord les pays riches, dans les pays pauvres, les progrès sont plus lents, si même il y en a

Cette affirmation est assez proche de la précédente, Elle est totalement fausse. Dans presque tous les pays du monde, l'espérance de vie progresse globalement sur le moyen et sur le long terme. Elle progresse en fait beaucoup plus vite dans la plupart des pays du Sud que dans la plupart des pays du Nord, notamment parce que dans les pays du Sud, la mortalité infantile diminue rapidement alors que dans les pays du Nord, la mortalité infantile est déjà très rare depuis plusieurs décennies. Dans les pays riches, l'espérance de vie progresse généralement de 2 à 3 mois par année. Dans les pays du Sud, c'est plus souvent 4 ou 5 mois. Ainsi au Brésil, la durée de vie moyenne a progressé de 11 années durant les 30 dernières années et en Inde de 10 années Les seules exceptions à cette évolution positive sont les Etats issus de l'ex Union soviétique et certains pays de l'Afrique subsaharienne. Mais même dans ces pays, l'évolution de ce début de 21ème siècle est redevenue généralement positive.

11. Une petite fille qui nait aujourd'hui a une chance sur deux de devenir centenaire

Un humoriste disait: c'est difficile de faire de la prospective lorsqu'il s'agit du futur. Une petite fille qui nait aujourd'hui a une chance sur deux de devenir centenaire si les progrès médicaux, sociaux et économiques se poursuivent au rythme actuel. Il est vrai que l'espérance de vie suit une courbe fort régulière depuis plus d'un siècle, avec une augmentation de la durée de vie de près de 3 mois par année. Mais le nombre de personnes atteignant l'âge de 100 ans reste aujourd'hui cependant assez limité (environ 20.000 personnes en France). Sans progrès médicaux importants, il se peut que la durée de vie moyenne plafonne, par exemple à environ 90 ans pour les femmes.

12. Nos enfants seront la première génération à vivre moins longtemps que celle de leurs parents

Cette affirmation, lorsqu'elle est présentée comme une certitude, est, comme la précédente totalement inexacte. Elle est aussi totalement inexacte, lorsqu'elle est présentée comme une conséquence de la situation contemporaine. En effet, certains parlent de maladies en croissance pour les nouvelles générations qui provoqueraient de nouvelles mortalités. Il se peut que certaines maladies nouvelles ne soient pas encore analysées, mais il est certain qu'actuellement, dans les pays d'Europe occidentale, la mortalité continue à diminuer dans toutes les tranches d'âge.

Autrement dit, ceux qui pensent que leurs enfants vivront moins longtemps qu'eux doivent savoir qu'en tout cas, les enfants ont actuellement moins de risque de mourir en bas âge que leurs parents. Ceci ne s'explique d'ailleurs pas que par les progrès de la médecine, mais aussi par les progrès globaux de la société qui lutte de plus en plus efficacement contre toutes les causes de mortalité (accidents de voiture, accidents domestiques, manque d'hygiène...) 

En conclusion.


Les croyances incorrectes ne sont pas nées spontanément. Elles ont des causes sociales, scientifiques, psychologiques,.... Il est souvent difficile de mettre fin à des idées fausse répandues. Le nombre de ces croyances inexactes, certaines partagées par des personnes extrêmement instruites, montre combien il reste de chemin à parcourir pour observer et comprendre les mécanismes de vieillissement et plus encore pour lutter pour prévenir et pour guérir des maladies qui concernent ou concerneront l'immense majorité de la population du globe. 


Bonne nouvelle du mois: Débat "Bientôt tous immortels?" sur la chaine télévisée belge RTL


Un débat télévisé relatif aux progrès médicaux en matière de longévité a eu lieu le dimanche 20 avril 2014, lors de l'émission "Controverse" de la chaîne belge francophone RTL. Laurent Alexandre, auteur du livre "La mort de la mort" et Didier Coeurnelle auteur du livre "Et si on arrêtait de vieillir" et coprésident de Heales y ont expliqué les perspectives des progrès de la longévité.

C'est peut-être la première fois qu'une chaine de télévision belge francophone organise à une heure de grande écoute un débat ouvert relatif aux frontières de la longévité.


Pour en savoir plus