dimanche 17 juin 2012

La mort de la mort. Numéro 38. Mai 2012.


La plus grande inégalité est probablement celle existant entre les vivants et les morts. Peter Thiel, entrepreneur américain cofondateur de PayPal à propos de son financement d'organisations luttant contre le vieillissement (traduction).

Thème du mois: Au-delà de la vie biologique, les vertiges du transfert de la conscience

Cette lettre aborde un sujet actuellement purement théorique et hypothétique.

Nous ne savons pas exactement définir ce que c'est que la conscience, ce qui fait que nous nous ressentons comme une entité. Au sein des réponses à ces questions d'une complexité gigantesque, se trouvent notamment des incertitudes qui vont au-delà de la science. Existons-nous vraiment comme entité indépendante, avons-nous un libre arbitre, sommes-nous les mêmes au fur et à mesure que se déroule notre vie?

Pour aborder le champ prospectif du transfert de conscience, deux hypothèses seront postulées dans les lignes qui suivent:

- La conscience est liée à un substrat matériel
- La conscience peut être transférée d'un support organique à un support informatique

Est-ce que le cerveau et l'âme sont indissociablement liés? Une phrase célèbre du siècle passé était "L'âme n'existe pas, je ne l'ai pas trouvée sous mon scalpel". Aujourd'hui, un scientifique pourrait déclarer "Ce que nous appelons l'âme ou la conscience existe, elle se compose de relations chimiques et électriques complexes entre cellules du cerveau, principalement les neurones". Petit à petit, toutes les hypothèses de "détachement de l'âme du corps" perdent du terrain. Il en va ainsi notamment des expériences d'approche de la mort (near death experiment). Certains y voyaient un début de preuve scientifique de l'existence d'un esprit détachable de l'enveloppe charnelle. Cependant, ces moments perçus comme uniques par ceux qui les vivent peuvent aujourd'hui être simulés en laboratoire. Les sensations s'expliquent donc de mieux en mieux par des raisons physiques.  Il est notamment possible de reproduire en laboratoire la célèbre sensation de quitter le corps que certains éprouvent à un moment proche du décès.

Pour les croyants, la démarche d'intégration de l'état actuel des connaissances scientifiques est complexe. L'idée de l'âme immatérielle est profondément ancrée. Elle n'est cependant pas indispensable à la plupart des religions. Par exemple la résurrection des chrétiens et des musulmans est matérielle.  

Même pour les plus matérialistes des citoyens, l'esprit se rebelle à l'idée de n'être qu'un assemblage matériel. Mais, en tout cas, que nous le voulions ou non, tout se passe comme si c'était le cas.

Si cette hypothèse est correcte, se pose alors une autre question. Peut-on copier cet ensemble? A première vue, c'est impossible à court, moyen ou long terme. Introduire en quantité des pièces informatiques, c'est-à-dire des métaux et d'autres produits étrangers dans le cerveau à travers les différentes zones corticales, les vaisseaux sanguins, ..., nécessite une chirurgie actuellement impossible dans cet organe extraordinairement complexe. Il est vrai qu'il est possible d'intégrer une puce qui sera en liaison avec le cerveau, il est vrai qu'il est possible d'interagir déjà par la pensée avec un ordinateur, il est vrai que des expériences audacieuses et/ou angoissantes ont été faites de remplacement de fonctions de l’hypothalamus d'un rat par un circuit informatique. Mais beaucoup penseront que jamais dans un avenir prévisible, il ne sera possible de reproduire un ensemble aussi complexe et dynamique qu'un cerveau humain.

Cependant, malheureusement ou heureusement selon les opinions, imaginons une perspective pas trop éloignée: le remplacement par microchirurgie d'un neurone par un équivalent informatique. Le neurone artificiel s'intègre et se comporte comme un neurone naturel. Si cette opération peut être automatisée, elle peut alors être refaite une fois puis cent fois puis des milliards de fois. A un moment, chaque nouveau neurone réagissant comme un neurone naturel, le cerveau cesse d'être naturel pour devenir artificiel. Ceci rappelle la situation de l'objet tant de fois réparé que plus rien de la substance originale ne subsiste. Pourtant c'est toujours le même objet du point de vue de son fonctionnement. D'ailleurs, la vie elle-même ne cesse de se renouveler, progressivement. Non seulement, comme disait Héraclite, nous ne nous baignons jamais deux fois dans la même eau de la rivière mais ce qui compose nos cellules change constamment au gré d'échanges innombrables.

Une autre approche envisageable à long terme est différente. Il s'agit de la copie globale suite à un découpage virtuel du cerveau jusqu'à la taille des molécules. Ni la technique, ni la puissance informatique ne sont aujourd'hui proches de ces objectifs mais l'accroissement exponentiel des capacités informatiques rend cette idée imaginable pour certains. Ce serait une opération complexe mais qui ne nécessiterait pas de comprendre le cerveau humain, pas plus qu'il n'est aujourd'hui nécessaire de comprendre le texte d'une page dactylographiée pour la copier.

Une dernière approche encore incroyablement plus complexe est la création d'un environnement informatique fonctionnant comme le cerveau suivi de la copie des informations provenant du cerveau vers ce support informatique.

Dans les exemples qui précèdent, il faudrait aussi relier le cerveau à des capteurs équivalents à nos sens mais, dans ce domaine, les connaissances scientifiques progressent assez rapidement en tout cas pour ce qui concerne le son et l’ouïe. En réalité, ce que nous appelons nos sens, ce qui nous permet de mesurer le monde extérieur est une extension de notre cerveau que nous savons progressivement améliorer techniquement depuis les lunettes séculaires jusqu'aux implants auditifs cochléaires.

Si le "transfert" ou la "copie" de la conscience sur un support informatique devient un jour possible, l'ampleur des questions éthiques et pratiques qui se poseront est absolument gigantesque. 

D'abord, dans le cadre de la lutte contre le vieillissement, le changement devrait être radical. Certains supports informatiques se détériorent avec le temps mais les fichiers informatiques eux se conservent quasiment sans autre limitation que l'accident technique. De plus, les copies de sauvegarde sont possibles. Plus vertigineux encore, il pourrait être possible de créer un temps subjectif se déroulant à un autre rythme que le rythme biologique. Un temps biologique de 24 heures pourrait par exemple représenter dix jours de temps informatique. 

En dehors des questions relatives à la longévité, les interrogations éthiques sont aussi gigantesques. Voici les principales:

- Serait-il possible et/ou souhaitable de multiplier des "copies" d'êtres humains identiques ?
- Serait-il admissible de détruire une "copie" d'être humain, une opération qui pourra être aussi simple que d'effacer un fichier d'un disque dur d'un ordinateur;
- S'il est possible de "copier" un être humain sans le détruire, serait-il admissible de créer un équivalent informatique subsistant à côté d'un 'être humain physiologique ?
- Serait-il possible/admissible de créer des "copies" d'êtres humains différents des originaux parce que plus intelligents, plus heureux ou plus gérables ou serviles ?

Mais avant tout, il faudrait bien sûr répondre à la toute première question: peut-on copier ou créer une conscience? 

Notre réaction intuitive à ces questions est de nous dire que ces idées sont tellement irréalistes qu'elles ne se poseront pas. Dans le domaine de la science, le passé de ces dernières décennies a cependant prouvé que ce qui apparaissait comme totalement impossible ne le reste pas nécessairement toujours. Nous déplaçons de gigantesques monstres de métal dans l'air, l'homme a marché sur la lune, presque tout ce qui est informatique a le don d'ubiquité, ...
Prévenir vaut mieux que guérir. Mieux vaut réfléchir pour rien à un bouleversement incertain que de risquer d'y être confronté sans préparation.


La bonne nouvelle du mois: des télomères pour une vie plus longue ... des souris 

Les télomères sont des parties de chromosome en lien étroit avec la durée de la vie. Ils raccourcissent avec l'âge. Certaines souris ayant une mutation génétique provoquée disposent de télomères plus longs et vivent plus longtemps. Des chercheurs espagnols viennent de réaliser une expérience par laquelle des souris adultes ont reçu cette mutation par thérapie génique. Autrement dit, les souris étaient nées sans la mutation favorable mais l'ont reçue une fois adulte. Les souris traitées à l'âge d'un an ont vécu en moyenne 24 % plus longtemps, celles traitées à l'âge de 2 ans en moyenne 13 % de plus.

Pour en savoir plus: