jeudi 25 décembre 2014

La mort de la mort. Lettre de décembre 2014. Numéro 69.

On se pourrait exempter d’une infinité de maladies, tant du corps que de l’esprit, et même aussi peut-être de l’affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez de connaissance de leurs causes, et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus. Descartes. Discours de la méthode 1637. 

Thème du mois: Les "lois" de la longévité et du vieillissement

Nous avons tous entendu l'expression "les lois de la nature". Nous avons tous également entendu annoncer des "règles" plus spécifiques, telles les lois de Newton ou la loi de Moore.

Dans l'acception courante, l'expression "loi de la nature" désigne un phénomène physique, phénomène qui peut être précis et sans exception (loi de la gravitation universelle) ou désigner une évolution générale (loi de l'hérédité). Dans le domaine de la biologie, comme dans tous les domaines des explications des phénomènes naturels, certains estiment que les "lois" de la nature sont des obligations pour les êtres humains. Parfois, les obligations sont supposées fixées par une puissance divine, parfois elles sont censées être purement et simplement "naturelles", légitimes de par leur existence immémoriale, avérée ou supposée.

En réalité, les femmes et les hommes, de tous temps ont cherché à dépasser les lois de la nature, créant progressivement des situations autres, voire contraires à ce qui a toujours existé, pour permettre souvent -mais pas toujours- plus de bonheur et de bien-être. Le rêve d'Icare peut mener à l'envol, mais il n'est pas sans risque de chute.

La présente lettre n'abordera ci-dessous les "lois" de la longévité que dans l'optique de phénomènes réguliers observables dans la nature ou dans nos sociétés.

Lois de la longévité pour les espèces animales en général

La sénescence concerne toutes les espèces animales ou presque toutes (en ce qui concerne les éventuelles exceptions, voir la lettre de 2011 "Les êtres vivants sans vieillissement"). La durée de vie habituelle d'un individu qui échappe à la prédation et aux maladies, varie de quelques jours à quelques siècles. Trois règles globales agissant sur la longévité peuvent être observées:

  • Le niveau de prédation
  • La taille
  • La rapidité du métabolisme
Ces trois règles se combinent et aucune règle n'est absolue. De manière générale, les trois éléments cités sont de bons déterminants de la durée de vie. Les baleines et les rorquals sont des animaux de très grande taille, sans prédateurs à l'âge adulte et avec un métabolisme lent. Ce sont les animaux à la durée de vie la plus longue parmi les mammifères. Les musaraignes sont des animaux de très petite taille, avec de nombreux prédateurs et un métabolisme très rapide. Ils ont la durée de vie probablement la plus courte parmi les mammifères.

Certains avaient traduit la règle relative au métabolisme en calculant le nombre de battements du cœur au cours d'une vie. Un animal, en tout cas un mammifère, aurait environ un milliard de pulsations cardiaques avant de s'éteindre. En fait, des animaux de petite taille à longévité importante, comme certaines chauves-souris ou certains écureuils ont un rythme cardiaque assez élevé et donc un total de pulsations nettement supérieur.

C'est probablement le niveau de prédation et les autres facteurs de mortalité qui sont les éléments qui peuvent influencer le plus rapidement, par la sélection naturelle, la durée de vie d'une espèce, même lorsque les individus sont soustraits aux facteurs de mortalité. Ainsi, il existe des espèces de poissons et de reptiles vivant dans des environnements qui ne permettent pas la survie au cours de l'année entière. Durant la saison sèche, tous les individus meurent, soit par assèchement des mares dans lesquels ils vivent, soit par épuisement de la nourriture. Lorsque des animaux de ces espèces sont maintenus en captivité dans des conditions matérielles permettant la survie, ils mourront tout de même de sénescence accélérée. Ce sont donc les particularités génétiques de ces espèces de poissons (certaines espèces de "killies") et de reptiles (un caméléon appelé Furcifer labordi) qui provoquent la mort accélérée. La sélection naturelle a "abandonné" ce qui permet l'entretien du corps, un peu comme elle a "abandonné" la vision pour des animaux cavernicoles ou la possibilité de voler pour le célèbre dodo de l'île Maurice, aujourd'hui disparu.

C'est probablement également le niveau de prédation qui explique que les animaux qui  ont la plus grande durée de vie connue soient des mollusques, protégés par leur coquille. Un quahog nordique, péché dans les eaux de l'Islande, a vécu 500 ans. Mais la longévité des mollusques, comme de nombreuses autres espèces qui ne peuvent que peu réguler leur température interne, varie également selon la chaleur de l'environnement et, par conséquent, selon la rapidité du métabolisme.

Le facteur favorable de la taille ne semble pas être d'une influence positive considérable pour les individus d'une espèce donnée. Pour certaines espèces, cela semble même le contraire (chiens, chevaux), mais il s'agit d'animaux pour lesquels la sélection génétique est fortement déterminée par l'homme. La lenteur du métabolisme, pour les individus d'une espèce donnée, a par contre probablement une influence globalement positive, en tout cas pour les animaux poïkilothermes ("à sang froid").

Une autre loi avait également été assez fréquemment postulée, celle du rapport inverse entre le nombre de descendants et la longévité. Il y aurait une sorte de "quantité" d'énergie disponible chez un individu pour vivre et pour générer des descendants, la quantité de l'un influençant négativement sur la quantité de l'autre. En fait, la sélection naturelle élimine les espèces qui ont une vie courte et peu de descendance, mais beaucoup d'espèces ont une descendance abondante et une vie longue, par exemple les mollusques déjà cités, les fourmis et d'autres insectes sociaux.

Lois de la longévité pour les humains

La première règle concerne les êtres humains et aussi d'autres espèces animales. Il s'agit de la loi de Gompertz-Makeham, une mesure de la probabilité de décès selon l'âge. Le nombre de décès d'individus d'une espèce donnée augmente de manière exponentielle avec l'âge. Il double à intervalles réguliers.

Pour les femmes et les hommes, ce doublement se produit environ tous les 8 ans. Autrement dit, une personne de 68 ans a deux fois plus de risque de décéder qu'une personne de 60 ans.

Cette règle est utile pour les personnes qui calculent les multiples éléments économiques influencés par la durée moyenne de vie, des primes d'assurance au financement de la sécurité sociale en passant par les perspectives démographiques. La règle est aussi et surtout utile parce qu'elle s'applique également à d'autres espèces animales, notamment les souris, mais dans ce cas avec une période de doublement de mortalité nettement plus courte. En connaissant les tables de mortalité de ces rongeurs, il est possible d'évaluer l'efficacité d'une thérapie pour lutter contre le vieillissement en examinant les courbes de décès avec ou sans cette thérapie, sans devoir attendre la fin de vie des animaux les plus âgés pour mesurer les premiers résultats.

Il semble que la loi de Gompertz-Makeham soit même partiellement indépendante des progrès de la médecine. Lorsque l'espérance de vie croît, les courbes de la mortalité obéissent globalement aux mêmes logiques qu'auparavant, mais à partir d'un âge plus élevé.

Depuis plus d'un siècle, et ceci est spécifique à l'espèce humaine, l'espérance de vie progresse. Il peut exister des années comportant moins de progression et d'autres avec une plus forte progression, mais, en tout cas dans les pays de l'Union européenne, la croissance est tellement régulière sur le moyen terme que l'on peut y voir une sorte de loi liée à un ensemble de progressions économiques, technologiques, médicales et  d'hygiène. Les périodes de crise, comme dans les années 70 ou durant ces dernières années n'interrompent pas cette évolution. La durée de vie continue de croître de 2 à 3 mois par année.

Cette évolution ne se produit cependant pas partout dans le monde. Ainsi, dans certains pays de l'Europe orientale et d'Afrique subsaharienne, l'espérance de vie a diminué à la fin du 20ème siècle tandis que dans des pays du Sud, plus nombreux, l'espérance de vie croit plus rapidement ces dernières décennies qu'auparavant et qu'en Europe.

Le meilleur déterminant de l'espérance de vie dans un pays donné est donc, de très loin, la date de la naissance. Mieux vaut naitre aujourd'hui qu'il y a dix ans et, sauf bouleversement négatif, mieux vaudra naître dans dix ans qu'aujourd'hui.

Il y a enfin deux autres éléments qui exercent une influence importante sur la longévité et qu'il est difficile à un citoyen ordinaire de modifier:

  • Le sexe: les femmes vivent plus longtemps que les hommes.
  • Le revenu et le niveau d'instruction: les personnes aisées et les personnes ayant fait des études plus longues vivent plus longtemps. Selon l'INSEE, durant les années 1990, l'espérance de vie à 35 ans des femmes cadres dépassait de 3 ans celle des ouvrières, et l'espérance de vie des hommes cadres dépassait de 7 ans celle des ouvriers.
Pour conclure cette lettre, il reste à vous signaler, lecteur de ces lignes, que vous pouvez appliquer des dizaines de "lois" pour augmenter vos chances de vivre plus longtemps: vous abstenir de fumer, de manger trop ou beaucoup trop peu, de boire trop d'alcool, faire de l'exercice, être heureux, avoir une vie sociale riche dans un environnement varié, en évitant les sources de pollution...

Vous pouvez également tenter de favoriser les recherches médicales qui permettront demain une vie en bonne santé beaucoup plus longue, parce que sinon, malheureusement, la réalité est que les chances de finir de la maladie d'Alzheimer augmentent chaque jour.


La bonne nouvelle du mois :
six années de vie gagnées dans le monde depuis 1990

Le journal médical le plus prestigieux, le Lancet, vient de publier, le 17 décembre 2014, une étude basée sur des données médicales mondiales à propos de l'espérance de vie et des causes de mortalité. Il y est notamment exposé que, dans la plupart des pays du monde, la durée de vie croit. Les causes sont multiples: diminution rapide de la mortalité infantile, diminution forte de la mortalité cardio-vasculaire, recul généralisé du paludisme, durée de vie de plus en plus longue des personnes atteintes du Sida,... Petit à petit, partout dans le monde, seules les maladies non transmissibles résistent aux progrès médicaux et économiques, les maladies dégénératives et certains cancers progressant même du fait de l'avancée en âge des populations.

Le lendemain de cette publication, Bill Maris, déclara que nous ne devons pas être effrayés par la perspective de vivre toujours. Bill Marris est le responsable de Google Ventures, le fonds de placement créé par Google pour investir dans des entreprises pionnières dans le domaine des nouvelles technologies.


Pour en savoir plus:

lundi 8 décembre 2014

La mort de la mort. Lettre de novembre 2014. Numéro 68.


Compte tenu du coût de ces technologies, comment financer cette médecine de demain? Tout dépend du pourcentage du PIB que l'on est prêt à consacrer à la santé. On peut aussi considérer que développer ce nouveau secteur à forte valeur ajoutée va générer de la richesse, des emplois, dans un cercle vertueux pour la France. Hervé Chneiweiss neurobiologiste, président du comité d'éthique de l'Inserm (Institut national de la Santé et de la recherche médicale). Le Nouvel Observateur, 2 janvier 2014.


Thème du mois: Longévité, équité, technoprogressisme et transhumanisme.


Chaque semaine, depuis des générations, nous gagnons un week-end d'espérance de vie. Rares sont ceux qui le regrettent.

Petit à petit, les citoyens prennent conscience que les frontières de la longévité sont flexibles. Ceci se passe notamment grâce à Google, sa société Calico et ses projets en matière de recherche génétique et aussi ‑ surtout - grâce aux communications de milliers de chercheurs qui multiplient les découvertes.

Cependant, les peurs des citoyens sont aussi présentes. Nous tendons tous à avoir une attitude ambivalente vis-à-vis du progrès scientifique et technologique en général. La nostalgie d'un passé révolu et l'espoir d'un futur radieux se mélangent. Il en va encore plus ainsi de questions vertigineuses comme celles qui touchent à notre existence même.
Longévité réservée aux riches?

L'inquiétude exprimée le plus souvent est que vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé soit un jour réservé aux plus aisés.

Des peurs similaires de progrès réservés aux riches se sont exprimées par le passé par exemple pour l'accès à internet et l'accès au téléphone mobile. Ces inquiétudes se sont révélées le plus souvent infondées. De manière générale, un progrès technologique et même une autre découverte fait l'objet d'une appropriation d'abord par un nombre réduit d'individus puis devient utile à un plus grand nombre. La rapidité de la diffusion dépend notamment du coût de la production des nouveaux objets et du souhait des premiers détenteurs de ces technologies. Mais elle dépend aussi de la volonté collective de se les approprier.

Pour ce qui concerne les progrès en matière de longévité, qu'ils se fassent par de nouveaux produits, par des nanotechnologies, par des cellules-souches ou par des thérapies, les recherches pour aboutir à des thérapies seront presque certainement ardues et coûteuses. Par contre, une fois les thérapies disponibles, les coûts de production des thérapies seront vraisemblablement peu élevés.

Un parallèle peut être fait avec la réalisation de téléphones intelligents. Les recherches technologiques pour les construire ont coûté des milliards d'euros. Ils ont permis la réalisation de bijoux de technologie qui nous servent à presque tout, de l'encyclopédie au thermomètre. Comme la production de ces outils extraordinaires se compte en centaines de millions d'exemplaires, le prix est devenu abordable, y compris pour des citoyens pauvres et il sera probablement bientôt négligeable.

Plus près des thérapies de longévité, les médicaments contre le sida sont un autre élément de comparaison. Alors que les recherches ont, elles-aussi, coûté des sommes gigantesques, les prix des médicaments ont chuté jusqu'à atteindre aujourd'hui environ un dollar par mois pour une thérapie prolongeant de plusieurs décennies la vie des personnes atteintes.

Pour les médicaments relatifs au sida, il aura fallu attendre une vingtaine d'années, et l'expiration de brevets, pour que les prix deviennent accessibles. C'est peu à l'échelle de l'histoire humaine, mais cela fut trop long pour des millions de gens. 

Pour les recherches en matière de longévité, il existe également un risque, si les recherches ne sont pas publiques ou si des mesures efficaces ne sont pas prises pour rendre accessibles les brevets, que pendant une période intermédiaire les pauvres continuent à mourir pendant que les riches bénéficieront de thérapies coûteuses.

Le risque est faible car la pression sociale, économique, politique, éthique pour rendre accessible des produits utiles à des milliards d'individus sera énorme. Le risque sera plus limité encore si les progressistes d'Europe et d'ailleurs se mobilisent pour exiger des recherches publiques accrues.


Déclaration technoprogressiste

C'est notamment en ayant cette dimension à l'esprit que, au cours du colloque Transvision, organisé à Paris à l'initiative de l'Association française transhumaniste (AFT) Technoprog, de l'association FiXience et du groupe Traces, la majorité des personnes présentes ont apporté des réponses empreintes d'un optimisme basé sur la prise de conscience des espoirs -mais aussi des risques- nés des progressions technologiques.

Une Déclaration Technoprogressiste a été adoptée le 21 novembre 2014. Elle mentionne notamment:

Le monde est de manière inacceptable inégalitaire et dangereux. Les technologies émergentes pourraient le rendre largement meilleur, ou bien pire. Malheureusement, trop peu de gens comprennent aujourd’hui la dimension des menaces ou des bienfaits auxquels l’humanité doit faire face. Il est temps pour les technoprogressistes, les transhumanistes et les prospectivistes de renforcer leur engagement politique afin de tenter d’influer sur le cours des événements.

Le cœur de notre engagement stipule que le progrès technologique ainsi que la démocratie sont des prérequis nécessaires pour émanciper l’humanité et la libérer de ses contraintes. Nous reconnaissant dans les promesses des Lumières, nous avons de nombreux homologues dans d’autres mouvements promouvant la liberté et la justice sociale.  (...)

Nous appelons à une augmentation significative des dépenses publiques pour la recherche de thérapies contre le vieillissement, en plus d’un accès universel à ces thérapies puisqu’elles visent à doter tout le monde d’une vie plus longue et en meilleure santé. Nous estimons qu’il n’existe aucune différence entre "thérapie" et "augmentation". Une réforme des réglementations sur les médicaments et les implants mélioratifs est donc nécessaire pour accélérer leur acceptation.

Cette déclaration appelle donc les citoyens, particulièrement ceux qui sont les plus attachés aux intérêts collectifs et à la prévention des risques, à se mobiliser dans un sens qui peut être qualifié de "proactif" pour des recherches et actions collectives permettant une vie en bonne santé beaucoup plus longue, plus harmonieuse et avec une meilleure prévention des risques.


La bonne et la moins bonne nouvelle du mois :
Google stocke les génomes mais en matière de longévité, les secrets restent bien gardés

La presse anglophone a fait état de la création par Google de "Google Genomics", une application en ligne qui permet de stocker, explorer et partager le séquençage du génome. Les normes à ce sujet sont fixées par une "Global Alliance for Genomics and Health" représentant 220 institutions notamment en France le Centre international de Recherche sur le Cancer. Le prix annoncé de la mise à disposition est de 25 dollar par an pour un génome humain. Cette initiative de Google, comme bien d'autres initiatives de cette société, est interpellante. Il faut noter la transparence à ce sujet mais ceci ne signifie cependant bien sûr pas l'absence de risques.
Le génome de 17 supercentenaires (personnes âgées de 110 ans et plus) a été séquencé. Selon les résultats publiés, aucune mutation génétique commune caractéristique d'une longévité accrue n'a pu être déterminée. L'article à ce sujet a été publié par un collectif d'auteurs, dont Stephen Coles directeur du Gerontology Research Group, malheureusement décédé quelques jours après la publication. Les recherches dans ce domaine s'annoncent donc longues et ardues. Pour les faciliter, les auteurs ont annoncé que le génome des personnes concernées est mis à disposition.


Pour en savoir plus:

·        De manière générale, voir notamment:
heales.orgsens.org et 
longecity.org
·        A propos de Transvision 2014: transvision2014.org (site internet et logo reproduit dans cette lettre), www.youtube.com/playlist?list=PLlB9Vm4imyfWwsWXDOvNuuwZvfj0nHAEZ (canal YouTube des débats, en français et en anglais selon les interventions), www.transhumanistes.com/forum/viewtopic.php?f=14&t=64 (Déclaration Technoprogressiste), fixience.fr (site de FiXience), www.groupe-traces.fr (site du groupe Traces).
·        A propos de Google Genomics: cloud.google.com/genomics/ (site), genomicsandhealth.org/members (liste des organisations membres) www.technologyreview.com/news/532266/google-wants-to-store-your-genome/ (un article à ce sujet).
·        A propos du séquençage du génome de supercentenaires: www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0112430 (en anglais).

samedi 8 novembre 2014

La mort de la mort. Lettre d'octobre 2014. Numéro 67.

Il est bien des merveilles en ce monde, il n'en est pas de plus grande que l'homme (...) Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l'avenir. Contre la mort seule, il n'aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu'il ait déjà su, contre les maladies les plus opiniâtres, imaginer plus d'un remède. Sophocle. Antigone. 441 avant J.-C.

Aucun ballon ni aucun aéronef ne sera jamais un succès. Lord Kelvin (le physicien ayant donné son nom au degré Kelvin) en 1902, répondant à la question de savoir si un engin volant pourrait un jour traverser l'Atlantique.


Thème du mois: Eurosymposium on Healthy ageing 2014,
rencontres internationales pour la longévité.

Du 1er au 3 octobre 2014, à l'initiative de l'organisation Heales (Healthy Life Extension Society) qui publie cette lettre, des spécialistes internationaux de la longévité se sont rencontrés au sein de la bibliothèque royale de Belgique. Il s'agissait du deuxième évènement de ce type (le premier s'étant déroulé en 2012).
Ci-dessous sont résumés les aspects les plus importants des exposés. Tous les espoirs, les craintes et les projets des personnes qui se sont exprimées ne peuvent être restitués mais la majorité des interventions (en anglais) peuvent être écoutées en ligne sur le canalYouTube de Heales

Des produits pour une vie plus longue

La chercheuse américaine Holly Brown-Borg a reçu de Heales le "Distinguished Research Award" 2014 pour son travail sur les souris naines, l'hormone de croissance et la restriction de méthionine. Son travail démontre qu'en laboratoire, l'espérance de vie de ces animaux peut être améliorée nettement grâce à l'absorption d'une seule substance. 

Plus largement, les recherches sur des souris et même sur des femmes et des hommes prouvent que des produits, médicaments ou autres, ingérés en petite quantité, ont une influence bénéfique nette. Cette influence positive concerne la durée globale de la vie mais aussi l'état de santé global au cours de l'existence. Autrement dit, il ne s'agit pas seulement d'ajouter des années à la vie, mais aussi d'ajouter de la vie aux années.

L'aspirine et la metformine, à doses modérées, font partie des médicaments courants pouvant avoir des effets globalement positifs y compris pour des personnes en bonne santé.  Selon quelques chercheurs optimistes, des produits combinés pourraient un jour permettre des gains considérables de l'espérance et de la qualité de vie, non pas seulement des personnes malades, mais aussi des adultes en parfaite santé. Pour le vérifier, des essais sur des souris sont d'abord nécessaires afin de sélectionner les substances les plus prometteuses. L'idéal pour obtenir des résultats rapides serait d'effectuer les expérimentations sur des souris déjà âgées, c'est-à-dire des souris d'environ 18 mois (une souris en captivité vit rarement plus de 3 ans). Edouard Debonneuil, allié à des associations et des chercheurs plaide pour une campagne de tests larges et solide sur des souris afin de découvrir quels produits, mais aussi quelles variations génétiques sont prometteurs de longévité accrue.

La biologie du vieillissement ne se limite cependant pas aux produits et aux variations génétiques. L'avancée en âge comprend des mécanismes d'une incroyable complexité. Les effets sur le long terme sont difficiles à saisir. Ce qui est annoncé comme bon aujourd'hui peut être démenti dans six mois. Andreas Simms nous l'a rappelé avec les très dénoncés AGE (Advanced Glycation End-products, résultats de la "caramélisation" lente des molécules). Ses résultats chez la souris suggèrent, de manière surprenante, qu'en absorber pourrait éviter le développement de certains cancers. Mais Williams Bains et Sven Bulterijs nous indiquent que les effets des AGE sont multiples, confus, et que les mesures de ces composés dans le corps comportent de nombreuses incertitudes.

Des causes multiples au vieillissement

Côté épidémiologique, les immunologistes tels que Graham Pawelec et Catharina Mathei, démontrent qu'une variable qui ne fait pas à proprement parler partie des mécanismes du vieillissement a une importance non négligeable. Il s'agit du cytomégalovirus (CMV), un virus porté par des milliards de personnes dans le monde mais présent en plus grande proportion chez les personnes âgées et dans les pays moins développés. Dans la plupart des cas, le virus est "dormant" et donc a peu d'effets négatifs visibles. Néanmoins n'est-il pas globalement nuisible de manière insidieuse et lente? Ne serait-il pas bon de se débarrasser de ces organismes aux frontières du vivant? La question n'est pas tranchée.

Globalement les chercheurs en sont sûrs, il faut chercher dans les cellules. Mais le français Robert Ladislas nous rappelle que la matrice extracellulaire joue également un rôle nocif lors du vieillissement, de même que les fibres protéiques qui se créent à l'intérieur des cavités cardiaques et les rigidifient petit à petit. 

Les experts s'accordent globalement pour estimer que la trop grande accumulation de cellules sénescentes et la trop forte disparition de cellules souches actives sont des causes de faibles renouvellements de nos tissus lorsque nous vieillissons. Ces aspects sont soulignés dans les présentations de Ken Parkinson, Daniel Muñoz et Henne Holstege.

Les thérapies géniques pour après-demain ?

Lorsqu'ils sont interrogés sur le temps nécessaire au développement d'une thérapie génique pour permettre aux femmes et aux hommes de vivre plus longtemps, les experts proposent d'abord des dates lointaines mais admettent ensuite que, si les circonstances sont favorables et les investissements suffisants un délai de quinze à vingt ans est envisageable. La science médicale, comme d'autres disciplines, progresse péniblement dans certains domaines et rapidement dans d'autres.

Du côté des avancées rapides, Jean-Marc Lemaitre, le célèbre spécialiste français des cellules-souches, nous démontre:

  • qu'une cellule de centenaire peut-être rajeunie d'un siècle puis donner naissance à d'autres cellules fonctionnelles de tous types;
  • qu'il est possible de faire pousser des organes neufs;
  • et que tout un partie de la biologie se développe ainsi actuellement.
L'intérêt pour la longévité ne se limite pas aux chercheurs

A côté des exposés scientifiques, l'Eurosymposium était également consacré à l'environnement socio-économique et culturel des recherches relatives à la longévité. La date de début de l'évènement était d'ailleurs symbolique: le 1er octobre est la journée internationale des personnes âgées, c'est-à-dire une journée internationale de la longévité. Julien Schreiber, un représentant du Centre d'information régional des Nations-Unies est venu lire le message du Secrétaire général des Nation-Unies, Ban Ki-moon, diffusé à cette occasion.

Daria Khaltourina était venue de Moscou, une capitale où l'espérance de vie est courte, mais où les activistes de la longévité sont nombreux, organisés et efficaces. Elle explique combien les moyens financiers et humains dans le monde sont variés, mais insuffisants et elle propose certaines pistes à explorer pour encourager les recherches.

David Wood, brillant futuriste britannique, a comparé l'histoire de la recherche aéronautique et celle de la longévité. Quelques années à peine avant les premiers vols, certains affirmaient encore l'impossibilité de faire voler des humains dans des appareils plus lourds que l'air. Ceux qui s'exprimaient ainsi n'étaient pas seulement des incultes effrayés par les avancées technologiques mais souvent des spécialistes érudits. Ils se trompaient bien sûr, mais au regard des difficultés de l'aéronautique de l'époque, leurs erreurs étaient compréhensibles. A l'instar de Louis Blériot survolant la Manche en 1909 et rendant les citoyens conscients que le transport aérien n'était plus de la science-fiction, il se pourrait qu'après-demain, une super-souris ayant atteint un âge canonique (pour une souris) gambade sur les plateaux télévisés, et annonce à un monde encore incrédule la nouvelle ère de la longévité humaine.

En conclusion de l'Eurosymposium, les participants ont adopté une résolution

Le texte promeut l'expansion de la recherche biomédicale en faveur de la médecine préventive pour les personnes âgées et exhorte les gouvernements et organisations intergouvernementales à:

  • prioriser et augmenter significativement le financement pour la recherche translationnelle en biogérontologie;
  • fournir une législation favorable à l'enregistrement des thérapies de prévention et de traitement des processus de vieillissement, leur traduction dans la pratique clinique;
  • permettre au public un large accès à ces thérapies.

La bonne nouvelle du mois :
Un paralytique remarche grâce à des cellules-souches.

Pour la première fois, une personne qui avait perdu l'usage de ses jambes parce que sa moelle épinière était rompue a pu remarcher grâce à l'implantation de cellules souches. Les cellules souches neuronales provenaient du bulbe olfactif de la personne handicapée, une région du cerveau où les neurones peuvent se multiplier dans certaines conditions. Pour rappel, jusqu'à la fin du 20ème siècle, l'opinion la plus courante était que les cellules neuronales ne pouvaient jamais se reproduire chez une personne adulte.
Cette avancée est une étape de plus dans les processus d'étude de mécanismes de régénération de tissus et d'organes grâce à des cellules-souches issues des personnes soignées elles-mêmes.



Pour en savoir plus:

• De manière générale, voir notamment:
• A propos de l'Eurosymposium 2014: www.eha2014.org (site internet) et www.youtube.com/user/HealesMovies (canal YouTube)
• A propos des cellules-souches permettant à un paralytique de remarcher: www.bbc.com/news/health-29645760 (en anglais) et www.ingentaconnect.com/content/cog/ct/pre-prints/content-CT-1239_Tabakow_et_al (article scientifique en anglais)
• A propos de recherche translationnelle (en anglais): en.wikipedia.org/wiki/Translational_research 
• Source de l'image: obtenue avec www.wordle.net

dimanche 12 octobre 2014

La mort de la mort. Lettre de septembre 2014. Numéro 66.

Et réfléchissez encore à ceci. Voici que les progrès inouïs des sciences et des techniques commencent à profiler le rêve fou qui était celui de Condorcet. Un jour mes amis, nous allons vaincre la mort. Pourquoi n'est-ce pas le jour d'aujourd'hui? Nous qui avons autour de nous tant d'êtres chers et qui parfois sont en train de partir. Mais un jour, nous vaincrons la mort et alors ce qui était le cœur de la condition humaine, qui était sa finitude subie deviendra d'une manière ou d'une autre une finitude que l'on aura choisie. Jean-Luc Mélenchon, fête de l'Humanité, Paris, Septembre 2014 (des citations d'autres horizons politiques figurent dans d'autres numéros de cette lettre)


Thème du mois: Les groupes en faveur  de progrès médicaux pour la longévité


Les mouvements qui travaillent en faveur de la longévité sont variés. Cette courte lettre ne prétend pas fournir une description exhaustive des groupes impliqués mais vise uniquement à donner une vision globale.

Trois catégories peuvent être distinguées:

  • Les institutions médicales publiques
  • Les organisations privées à vocation médicale
  • Les organisations non (exclusivement) scientifiques ayant comme but principal de permettre une vie en bonne santé beaucoup plus longue
1. Les institutions médicales publiques
Au niveau international, ni l'ONU, ni l'organisation mondiale de la santé n'ont d'activité importante concernant les recherches relatives au vieillissement.
Pour ce qui concerne l'Union européenne, il existe notamment un "Partenariat d'innovation pour un vieillissement actif et en bonne santé". Malheureusement, la recherche médicale y joue un rôle assez mineur.

Dans de nombreux pays, une organisation publique a des compétences pour les recherches dans le domaine de la santé. Dans certains pays, il existe même une organisation spécifique pour la recherche relative au vieillissement. L'organisation la plus prestigieuse et la plus importante est le "National Institute on Aging" des Etats-Unis qui a explicitement comme mission de faire progresser les connaissances pour améliorer la santé, allonger la durée de vie et réduire les maladies et handicaps. 
En France, l'Inserm, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) étudie les questions relatives au vieillissement, mais ne dispose pas d'une section spécifique dédiée au vieillissement. Au Canada, il existe un centre de recherche sur le vieillissement.

2. Les organisations privées à vocation médicale

Les médecins se regroupent selon leur spécialité à de multiples niveaux. Il en va ainsi notamment des gérontologues et des gériatres qui se rencontrent pour des activités communes notamment via l'association internationale de gérontologie et de gériatrie, basée à Séoul.

De nombreuses associations privées de par le monde financent des recherches scientifiques dans le domaine de la santé. Le plus souvent, l'accent est mis sur une maladie ou un groupe de maladies déterminées. Des associations travaillent notamment pour la lutte contre les cancers (par exemple en France la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer) ou les maladies neurodégénératives.

Cependant plusieurs grandes associations travaillent globalement dans la recherche relative au vieillissement. Le "Buck Institute for Research on Aging" et la "SENS Research Foundation" ont leur siège en Californie, mais SENS est également très actif en Grande-Bretagne. Le "American Federation for Aging Research" basé à New-York est une autre grande organisation active dans ce domaine.

Il y a quelques mois. Google a créé une société appelée Calico (pour California Life Company). Les domaines précis dans lesquels la société se spécialise ne sont pas communiqués actuellement, mais l'objectif global est clair: s'attaquer au vieillissement biologique et à ses causes.

Craig Venter, qui fut l'acteur principal du premier séquençage humain en l'an 2000 est le créateur de la société Human Longevity, Inc. Cette société, au capital de départ de 70 millions de dollars, a pour objectif ambitieux de comprendre les mécanismes de la longévité.

Il y a, par ailleurs, de par le monde d'innombrables institutions "anti-âge" privées. Elles ont généralement un but lucratif et elles ne visent en tout cas pas à favoriser la recherche collective relative à l'avancée en âge.

3. Les organisations non (exclusivement) scientifiques ayant comme but principal de permettre une vie en bonne santé beaucoup plus longue

En dehors du champ scientifique proprement dit, des organisations petites mais actives militent pour la diffusion et l'échange des idées et des connaissances relatives à l'amélioration de la durée de vie. La plus ancienne de ces organisations est Longecity (anciennement Immortality Institute), la plus récente est l'International Longevity Alliance née il y a quelques mois et l'association Heales (Healthy Life Extension) qui est l'organisation qui propose la présente lettre d'information. 

Par ailleurs, des mouvements s'intéressent à l'accélération des progrès technologiques utiles à la collectivité. Dans ces mouvements, notamment les transhumanistes, l'intérêt pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue, voire l'intérêt pour "l'immortalité biologique" est toujours présent.

Dans la plupart des pays du monde ainsi qu'au niveau international, il existe des groupements de personnes âgées formés selon des critères géographiques, politiques, éthiques, sociaux, culturels, professionnels, ... Malheureusement pour les membres de ces groupements, la recherche relative à la cause principale de leurs difficultés de santé est très rarement abordée, probablement notamment par peur de sujets qui font peur.

A l'issue de ce bref tour du monde, ce qui frappe, c'est le nombre réduit de personnes et d'entités qui, autour du monde, ont pour préoccupation principale la limitation des principales causes de mortalité ou de morbidité de la population humaine en ce début de 21ème siècle.



La bonne nouvelle du mois :
IBM Watson continue à progresser pour la recherche médicale


IBM Watson est un système informatique d'intelligence artificielle qui travaille notamment sur la recherche médicale. La société IBM collabore désormais avec Mayo, un groupe américain de cliniques.

Grâce à de puissantes capacités d'analyse de données, Watson aidera les cliniciens à "digérer" des millions de pages de données provenant des patients et de références médicales. Ceci permettra de s'assurer que les patients participeront aux essais cliniques adéquats en fonction de leurs pathologies. Ceci pourrait ensuite contribuer à améliorer la santé de ces personnes et à accélérer considérablement la recherche médicale.




Pour en savoir plus:

• De manière générale, voir notamment: