samedi 8 novembre 2014

La mort de la mort. Lettre d'octobre 2014. Numéro 67.

Il est bien des merveilles en ce monde, il n'en est pas de plus grande que l'homme (...) Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l'avenir. Contre la mort seule, il n'aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu'il ait déjà su, contre les maladies les plus opiniâtres, imaginer plus d'un remède. Sophocle. Antigone. 441 avant J.-C.

Aucun ballon ni aucun aéronef ne sera jamais un succès. Lord Kelvin (le physicien ayant donné son nom au degré Kelvin) en 1902, répondant à la question de savoir si un engin volant pourrait un jour traverser l'Atlantique.


Thème du mois: Eurosymposium on Healthy ageing 2014,
rencontres internationales pour la longévité.

Du 1er au 3 octobre 2014, à l'initiative de l'organisation Heales (Healthy Life Extension Society) qui publie cette lettre, des spécialistes internationaux de la longévité se sont rencontrés au sein de la bibliothèque royale de Belgique. Il s'agissait du deuxième évènement de ce type (le premier s'étant déroulé en 2012).
Ci-dessous sont résumés les aspects les plus importants des exposés. Tous les espoirs, les craintes et les projets des personnes qui se sont exprimées ne peuvent être restitués mais la majorité des interventions (en anglais) peuvent être écoutées en ligne sur le canalYouTube de Heales

Des produits pour une vie plus longue

La chercheuse américaine Holly Brown-Borg a reçu de Heales le "Distinguished Research Award" 2014 pour son travail sur les souris naines, l'hormone de croissance et la restriction de méthionine. Son travail démontre qu'en laboratoire, l'espérance de vie de ces animaux peut être améliorée nettement grâce à l'absorption d'une seule substance. 

Plus largement, les recherches sur des souris et même sur des femmes et des hommes prouvent que des produits, médicaments ou autres, ingérés en petite quantité, ont une influence bénéfique nette. Cette influence positive concerne la durée globale de la vie mais aussi l'état de santé global au cours de l'existence. Autrement dit, il ne s'agit pas seulement d'ajouter des années à la vie, mais aussi d'ajouter de la vie aux années.

L'aspirine et la metformine, à doses modérées, font partie des médicaments courants pouvant avoir des effets globalement positifs y compris pour des personnes en bonne santé.  Selon quelques chercheurs optimistes, des produits combinés pourraient un jour permettre des gains considérables de l'espérance et de la qualité de vie, non pas seulement des personnes malades, mais aussi des adultes en parfaite santé. Pour le vérifier, des essais sur des souris sont d'abord nécessaires afin de sélectionner les substances les plus prometteuses. L'idéal pour obtenir des résultats rapides serait d'effectuer les expérimentations sur des souris déjà âgées, c'est-à-dire des souris d'environ 18 mois (une souris en captivité vit rarement plus de 3 ans). Edouard Debonneuil, allié à des associations et des chercheurs plaide pour une campagne de tests larges et solide sur des souris afin de découvrir quels produits, mais aussi quelles variations génétiques sont prometteurs de longévité accrue.

La biologie du vieillissement ne se limite cependant pas aux produits et aux variations génétiques. L'avancée en âge comprend des mécanismes d'une incroyable complexité. Les effets sur le long terme sont difficiles à saisir. Ce qui est annoncé comme bon aujourd'hui peut être démenti dans six mois. Andreas Simms nous l'a rappelé avec les très dénoncés AGE (Advanced Glycation End-products, résultats de la "caramélisation" lente des molécules). Ses résultats chez la souris suggèrent, de manière surprenante, qu'en absorber pourrait éviter le développement de certains cancers. Mais Williams Bains et Sven Bulterijs nous indiquent que les effets des AGE sont multiples, confus, et que les mesures de ces composés dans le corps comportent de nombreuses incertitudes.

Des causes multiples au vieillissement

Côté épidémiologique, les immunologistes tels que Graham Pawelec et Catharina Mathei, démontrent qu'une variable qui ne fait pas à proprement parler partie des mécanismes du vieillissement a une importance non négligeable. Il s'agit du cytomégalovirus (CMV), un virus porté par des milliards de personnes dans le monde mais présent en plus grande proportion chez les personnes âgées et dans les pays moins développés. Dans la plupart des cas, le virus est "dormant" et donc a peu d'effets négatifs visibles. Néanmoins n'est-il pas globalement nuisible de manière insidieuse et lente? Ne serait-il pas bon de se débarrasser de ces organismes aux frontières du vivant? La question n'est pas tranchée.

Globalement les chercheurs en sont sûrs, il faut chercher dans les cellules. Mais le français Robert Ladislas nous rappelle que la matrice extracellulaire joue également un rôle nocif lors du vieillissement, de même que les fibres protéiques qui se créent à l'intérieur des cavités cardiaques et les rigidifient petit à petit. 

Les experts s'accordent globalement pour estimer que la trop grande accumulation de cellules sénescentes et la trop forte disparition de cellules souches actives sont des causes de faibles renouvellements de nos tissus lorsque nous vieillissons. Ces aspects sont soulignés dans les présentations de Ken Parkinson, Daniel Muñoz et Henne Holstege.

Les thérapies géniques pour après-demain ?

Lorsqu'ils sont interrogés sur le temps nécessaire au développement d'une thérapie génique pour permettre aux femmes et aux hommes de vivre plus longtemps, les experts proposent d'abord des dates lointaines mais admettent ensuite que, si les circonstances sont favorables et les investissements suffisants un délai de quinze à vingt ans est envisageable. La science médicale, comme d'autres disciplines, progresse péniblement dans certains domaines et rapidement dans d'autres.

Du côté des avancées rapides, Jean-Marc Lemaitre, le célèbre spécialiste français des cellules-souches, nous démontre:

  • qu'une cellule de centenaire peut-être rajeunie d'un siècle puis donner naissance à d'autres cellules fonctionnelles de tous types;
  • qu'il est possible de faire pousser des organes neufs;
  • et que tout un partie de la biologie se développe ainsi actuellement.
L'intérêt pour la longévité ne se limite pas aux chercheurs

A côté des exposés scientifiques, l'Eurosymposium était également consacré à l'environnement socio-économique et culturel des recherches relatives à la longévité. La date de début de l'évènement était d'ailleurs symbolique: le 1er octobre est la journée internationale des personnes âgées, c'est-à-dire une journée internationale de la longévité. Julien Schreiber, un représentant du Centre d'information régional des Nations-Unies est venu lire le message du Secrétaire général des Nation-Unies, Ban Ki-moon, diffusé à cette occasion.

Daria Khaltourina était venue de Moscou, une capitale où l'espérance de vie est courte, mais où les activistes de la longévité sont nombreux, organisés et efficaces. Elle explique combien les moyens financiers et humains dans le monde sont variés, mais insuffisants et elle propose certaines pistes à explorer pour encourager les recherches.

David Wood, brillant futuriste britannique, a comparé l'histoire de la recherche aéronautique et celle de la longévité. Quelques années à peine avant les premiers vols, certains affirmaient encore l'impossibilité de faire voler des humains dans des appareils plus lourds que l'air. Ceux qui s'exprimaient ainsi n'étaient pas seulement des incultes effrayés par les avancées technologiques mais souvent des spécialistes érudits. Ils se trompaient bien sûr, mais au regard des difficultés de l'aéronautique de l'époque, leurs erreurs étaient compréhensibles. A l'instar de Louis Blériot survolant la Manche en 1909 et rendant les citoyens conscients que le transport aérien n'était plus de la science-fiction, il se pourrait qu'après-demain, une super-souris ayant atteint un âge canonique (pour une souris) gambade sur les plateaux télévisés, et annonce à un monde encore incrédule la nouvelle ère de la longévité humaine.

En conclusion de l'Eurosymposium, les participants ont adopté une résolution

Le texte promeut l'expansion de la recherche biomédicale en faveur de la médecine préventive pour les personnes âgées et exhorte les gouvernements et organisations intergouvernementales à:

  • prioriser et augmenter significativement le financement pour la recherche translationnelle en biogérontologie;
  • fournir une législation favorable à l'enregistrement des thérapies de prévention et de traitement des processus de vieillissement, leur traduction dans la pratique clinique;
  • permettre au public un large accès à ces thérapies.

La bonne nouvelle du mois :
Un paralytique remarche grâce à des cellules-souches.

Pour la première fois, une personne qui avait perdu l'usage de ses jambes parce que sa moelle épinière était rompue a pu remarcher grâce à l'implantation de cellules souches. Les cellules souches neuronales provenaient du bulbe olfactif de la personne handicapée, une région du cerveau où les neurones peuvent se multiplier dans certaines conditions. Pour rappel, jusqu'à la fin du 20ème siècle, l'opinion la plus courante était que les cellules neuronales ne pouvaient jamais se reproduire chez une personne adulte.
Cette avancée est une étape de plus dans les processus d'étude de mécanismes de régénération de tissus et d'organes grâce à des cellules-souches issues des personnes soignées elles-mêmes.



Pour en savoir plus:

• De manière générale, voir notamment:
• A propos de l'Eurosymposium 2014: www.eha2014.org (site internet) et www.youtube.com/user/HealesMovies (canal YouTube)
• A propos des cellules-souches permettant à un paralytique de remarcher: www.bbc.com/news/health-29645760 (en anglais) et www.ingentaconnect.com/content/cog/ct/pre-prints/content-CT-1239_Tabakow_et_al (article scientifique en anglais)
• A propos de recherche translationnelle (en anglais): en.wikipedia.org/wiki/Translational_research 
• Source de l'image: obtenue avec www.wordle.net