mercredi 27 août 2014

La mort de la mort. Lettre d'août 2014. Numéro 65.

Il n'y a pas très longtemps, un industriel français que je ne citerai pas m'engueule parce que dans "La mort de la mort", j'explique que la mort de la mort, c'est pour dans deux générations. Et lui qui est très riche et puissant, il ne comprend pas pourquoi il n'a pas droit à l'immortalité. Et il trouve cela profondément injuste. (...) Ma génération à moi est probablement l'avant-avant-dernière à mourir ou l'avant-avant-avant dernière (...) C'est la plus grande injustice de tous les temps et il faut l'assumer. Laurent Alexandre, médecin, dirigent de DNAVision, spécialiste des questions de longévité, lors d'une conférence "Les euro-révolutionnaires" mise en ligne le 20 juin 2014.


Thème du mois: La vieillesse est-elle une maladie?


Voici une question qui divise, voire qui fâche au sein de la communauté de ceux qui militent pour une vie beaucoup plus longue en bonne santé. Devons-nous considérer le vieillissement comme une maladie dont sont atteints toutes les femmes et les hommes pour autant qu'ils dépassent un certain âge. Ou bien est-ce une caractéristique physiologique, une évolution naturelle que nous cherchons à limiter?

Pour se forger une opinion, il importe d'abord de définir ce qu'est une maladie. La maladie, chez l'être humain, c'est une altération des fonctions ou de la santé. Le mot maladie vient du latin male qui signifie en mauvais état. Le mot anglais disease lui vient du préfixe privatif dis et du mot aise ou eise qui, en ancien français signifiait plaisir, confort, agréable. La maladie, c'est donc étymologiquement, comme dans notre perception, un dysfonctionnement du corps (y compris le système nerveux pour la santé mentale) provoquant un inconfort.

Le concept de maladie s'oppose généralement à celui de (bonne) santé encore que l'Organisation mondiale de la santé déclare explicitement dans son texte constitutif que "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité."

Passons en revue quelques arguments en faveur et en défaveur de l'usage du terme maladie.
Arguments contre la prise en considération du vieillissement comme une maladie

1. L'argument principal est celui de la normalité et de l'universalité. La vieillesse est un phénomène universel. C'est un développement normal de l'être humain. Ce n'est donc pas une maladie.

Il peut d'abord être répondu à cela que le vieillissement n'est devenu un phénomène universel que récemment et principalement chez l'être humain car la plupart des autres êtres vivants meurent d'innombrables autres causes: prédations, parasites, maladies infectieuses, malnutrition, ...

Ensuite, il n'entre pas dans la définition courante d'une maladie qu'elle doive être exceptionnelle, "anormale". La majorité des citoyens sont atteints de la grippe un jour ou l'autre, c'est "normal", mais cela n'en reste pas moins une maladie.

2. Un autre argument est celui tiré de la "bonne santé" d'individus âgés. Il est ainsi affirmé que, même si les maladies sont plus fréquentes chez les personnes âgées, il n'en reste pas moins que beaucoup d'individus avançant en âge conservent une état physiologique tout à fait satisfaisant, démontrant par-là que le vieillissement n'est pas une maladie.

Cet argument est défendable jusqu'à un certain âge. En effet, même si des athlètes peuvent courir un marathon, nager, avoir des activités intenses jusqu'à 70, 80 voire 90 ans, à un moment donné, de toute façon, les capacités diminuent de manière importante.

3. Un troisième argument est issu de l'affirmation que la vieillesse n'est pas une maladie, parce qu'elle est un développement inévitable, que personne donc ne guérit de la vieillesse.

Selon ce raisonnement, toute affection aujourd'hui incurable ne devrait pas être considéré comme une maladie. Or, cet argument est très rarement apporté, par exemple, pour le virus du SIDA ou pour la maladie d'Alzheimer.

4. Enfin, un argument à connotation sociale est parfois avancé: considérer la vieillisse comme une maladie, cela signifie qu'une personne âgée est une personne malade et cela la stigmatise.

Il est clair cependant en ce début de 21e siècle, pour la grande majorité des citoyens et plus encore du corps médical, que le fait d'être plus faible psychologiquement ou physiquement, pour quelque raison que ce soit, ne doit pas remettre en cause le droit à un traitement. Au contraire du risque de stigmatisation et de discrimination, une personne plus faible, une personne malade, a droit à plus de soins, plus d'affection et plus de protection visant à améliorer autant que possible sa situation.

Arguments en faveur de la prise en considération du vieillissement comme une maladie

Une maladie tant en langage courant qu'en langage médical, c'est un état dans lequel les capacités physiques sont fortement diminuées à tel point que le fonctionnement normal de l'organisme n'est plus possible. En ce sens le simple fait du vieillissement est bien indice d'une maladie. Les indicateurs de réduction physiologique d'un individu normal âgé sont innombrables. Parmi ceux-ci:

  • diminution de la force et de la masse musculaires;
  • diminution de la capacité pulmonaire;
  • diminution des capacités cardio-vasculaires;
  • diminution des capacités cognitives;
  • diminution des capacités des organes sensoriels (réduction de la vision, de l'odorat, du goût);
  • diminution des capacités sexuelles et de reproduction (et même suppression de la capacité de reproduction chez la femme).
Mais la liste complète est bien plus longue. En réalité, presque tout dans le corps de l'être humain, se transforme progressivement avec l'avancée en âge et ceci à des rythmes variant selon les individus. Comme il s'agit d'un phénomène progressif et comme l'organisme a de merveilleuses facultés d'adaptation, nous ne nous en apercevons que rarement et partiellement. Mais du plus visible, la peau et les cheveux jusqu'au cœur de notre organisme, des plus grands os aux plus petites cellules et même parmi les myriades d'êtres vivants qui nous accompagnent en symbiose, en parasite, en source d'infection ou de guérison, tout se transforme. Presque tous les indicateurs biométriques se modifient. Même l'eau, source de toute vie, s'intègre fondamentalement différemment chez un jeune adulte où elle forme 60 % du poids corporel et chez une personne âgée où elle n'en représente plus qu'environ 45 %.

La maladie, un concept changeant

C'est l'état des connaissances, mais aussi les évolutions culturelles qui font de certaines caractéristiques humaines une maladie. L'homosexualité n'est plus considérée comme une maladie aujourd'hui. L'obésité, par contre, est devenue une maladie. Il pourrait en aller de même du vieillissement.

C'est aussi un débat partiellement sémantique. Ainsi le froid et la chaleur ne sont pas des maladies, mais on parlera d'un coup de froid et d'un coup de chaleur.

Les progrès considérables de ces dernières décennies ont permis une telle maîtrise que des personnes de plus en plus âgées nous apparaissent comme en bonne santé. Cependant si un médecin ou même un citoyen ordinaire pense examiner une personne de 25 ans alors qu'il examine un centenaire, jamais il ne pensera que cette personne est en bonne santé. En ce sens en tout cas, la vieillesse est bien une maladie et même la principale maladie de ce début du 21ème siècle, de Londres à Berlin, de Pondichéry à Ushuaia et de 50 à 122 ans.

Toutefois, il est probablement préférable d'indiquer que l'avancée en âge, le simple fait de l'écoulement du temps, est l'origine principale, voire parfois l'origine unique d'innombrables maladies et pas la maladie elle-même. Les maladies cardio-vasculaires, les cancers et les maladies neuro-dégénératives sont les affections les plus fréquentes pour le nombre de décès, mais un nombre énorme d'autres affections sont concernées. La dégradation de tout ce qui nous rend humain est heureusement progressive et souvent non-douloureuse. Comme pour d'autres affections, nous n'avons d'autre choix en cette année 2014 que de l'accepter. Cela ne signifie pas qu'il faut l'accepter sans réserve pour toujours.


Bonne nouvelle du mois: transfusion sanguine pour lutter contre la maladie d'Alzheimer



La maladie d'Alzheimer est la principale affection pour laquelle le nombre de personnes atteintes, le rythme d'évolution et le nombre de décès ne décroit que peu en proportion de la population concernée (dans une tranche d'âge donnée). En chiffres absolus, il s'agit même d'une maladie à croissance rapide, vu l'avancée en âge de la population et la réduction des autres causes de morbidité et de mortalité.

De nombreuses pistes scientifiques sont suivies afin de tenter de lutter plus efficacement contre les maladies neuro-dégénératives. Les recherches relatives à l'utilisation de sang dans le cadre de processus de réjuvénation sont nombreuses ces derniers mois. Des patients modérément ou fortement atteints par la maladie d'Alzheimer vont bénéficier de transfusions sanguines afin de tenter de diminuer l'impact de cette maladie redoutable. Cette expérience, qui se déroulera en Californie est basée sur des tests sur des souris qui ont été efficaces, tant pour l'état de santé global que pour les capacités cognitives.



Pour en savoir plus:
Source de l'image (dessin de Da Vinci): http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/08/Leonardo_muscles.jpg/85px-Leonardo_muscles.jpg