samedi 30 mai 2015

La mort de la mort. Lettre de mai 2015. Numéro 74.


Il n'y a pas de ligne d'arrivée dans le travail de la science. Nous sommes toujours en train de courir. Le travail urgent est de donner à espérer et à répondre à ces nombreuses prières, de chercher un jour où des mots comme "terminal "et "incurable" seront potentiellement à la retraite de notre vocabulaire. Déclaration du président Barack Obama le 9 mars 2009, à la Maison Blanche, lors de la signature du décret "Éliminer les obstacles à la responsabilité de la recherche scientifique impliquant des cellules souches humaines", signature qui actait la levée de l'interdiction de l'administration Bush pour de telles recherches.


Thème du mois: Principe de prudence, principe de précaution, principe de proaction en matière de santé

Cette lettre n'approche la problématique liée au principe de prudence, de précaution ou de proaction que dans le domaine de la santé et non pas pour ce qui concerne les questions relatives à l'environnement.

En cette année 2015, la durée moyenne d'une vie d'un citoyen du monde est d'environ 70 ans, celle d'un citoyen français, belge ou canadien d'environ 80 ans. Nous savons, même si cela n'est pas toujours avec certitude, que certains comportements, certaines activités, certaines consommations ont des effets sur la durée et sur la qualité de la vie.

Certains actes sont interdits, limités ou découragés par les spécialistes médicaux ou par les autorités publiques. C'est ce qui se rapproche le plus du principe de précaution au sens traditionnel du terme. Par exemple:

  • Ne pas absorber certaines substances: tabac, alcool, autres drogues, aliments et additifs cancérigènes ou toxiques, ...
  • Ne pas commettre certains actes dangereux; circulation automobile trop rapide, baignade dans des lieux non-sécurisés, sortie dans un lieu arboré en cas de tempête, ...
  • Ne pas utiliser certains objets: appareils électriques non sécurisés, objets produisant des rayonnements dangereux...
Mais il est d'autres comportements nombreux qui correspondent aussi au principe de précaution mais qui sont positifs. Ainsi:

  • Le port de la ceinture de sécurité et l'utilisation de nombreux équipements de protection des personnes: airbags dans les voitures, casques pour les motocyclistes, balises dans les voiliers de plaisance, alarmes-incendies,...
  • La vaccination contre certaines maladies, défense à la fois des individus mais aussi de la collectivité; cette défense a été globalement tellement efficace que beaucoup de citoyens s'inquiètent de rares effets secondaires sans plus percevoir les conséquences positives de l'éradication de maladies souvent mortelles
Il est même certaines mesures "positives" obligatoires dont l'objectif principal n'est pas la sauvegarde des personnes directement concernées mais bien la sauvegarde de la collectivité. Les "boîtes noires" (en fait rouges) des avions de ligne ne servent pas à la sécurité des passagers eux-mêmes, mais bien à déterminer la cause d'un éventuel accident ce qui peut ultérieurement aider à sauver la vie d'autres passagers  (outre les aspects de détermination des responsabilités).

Nous ne percevons généralement plus ces obligations comme intrusives. Cependant lorsqu'elles ont été édictées, elles n'allaient pas de soi. Chaque jour, elles sauvent des vies, tellement de vies, que les décès dus à d'autres causes que le vieillissement sont de plus en plus exceptionnels.

Pour vivre encore plus longtemps et en meilleure santé, nous appliquons aujourd'hui de plus en plus efficacement  le principe de prudence et de précaution, entendu dans le sens étroit de l'interdiction. Nous prohibons assez rapidement tout ce qui semble néfaste à la santé aux personnes faibles dont les personnes âgées. C'est encore insuffisant en ce qui concerne les pollutions atmosphériques dues aux particules fines. C'est par contre fort bien fait et fort efficace dans d'autres domaines, notamment pour l'alimentation.

Mais pour aller plus loin, pour faire gagner aux octogénaires, aux nonagénaires et aux centenaires d'ici et d'ailleurs beaucoup d'années de vie en bonne santé, le principe de précaution doit comprendre beaucoup plus d'actions positives, beaucoup plus de recherches dans le domaine des produits, des cellules-souches, des thérapies géniques pour pouvoir préserver de mieux en mieux du temps. Par exemple le fait que la directive REACH protège de nouveaux produits nocifs est extrêmement utile, mais pourquoi une directive n'obligerait-t-elle pas aussi à faire connaitre tout produit ayant un impact potentiellement positif pour la longévité?

Certains se diront qu'aller plus loin est artificiel. Ils ont raison, il est artificiel. Comme presque toute la médecine préventive et proactive de l'aspirine aux greffes en passant par les vaccinations, l'anesthésie et la naissance sans douleur. Ce n'est artificiel que depuis à peine deux siècles, pour la première fois de l'histoire de l'humanité, la majorité des enfants vivent jusqu'à l'âge adulte. Il est artificiel de remplir le corps d'un enfant, qui allait mourir naturellement, d'un sang étranger stocké dans un environnement artificiel, sang pris du corps d'une personne qui ne le connait même pas.  

Adieu mort des enfants, poux du pubis, ténias, peste, choléra et variole qui nous aviez fidèlement accompagné durant trois cent mille ans. Et un jour peut-être également adieu aux maladies d'Alzheimer et de Parkinson, aux maladies cardio-vasculaires et aux cancers que nous n'avions eu le temps de vraiment connaître que depuis quelques millénaires parce qu'avant presque personne ne mourrait des suites d'une vieillesse avancée.

Adieu, sauf pour ceux qui le souhaitent bien sûr. Le droit au bonheur et au bien-être ne doit pas devenir une obligation au bonheur et au bien-être.

La bonne nouvelle du mois : Livre "de cuisine" pour la longévité


Les mouvements en faveur de la longévité se multiplient, s'intensifient et se diversifient. Maria Konovalenko, une chercheuse enthousiaste et dynamique a lancé une campagne de financement participatif (crowdfunding) pour un "Longevity cookbook", un livre de cuisine pour la longévité qui abordera toutes les méthodes pour gagner en longévité depuis l'alimentation (bien sûr) jusqu'aux recherches scientifiques les plus en pointe.

La campagne a déjà le soutien de personnalités aussi diverses que le disc-jockey et producteur américain Steve Aoki et Brian Kennedy, président du Buck Institute for Research on Aging. Maintenant, c'est à vous de les imiter si vous le souhaitez!


Pour en savoir plus:

·    De manière générale, voir notamment:
heales.orgsens.org et longecity.org
·    Le principe de précaution notamment dans le domaine de la santé: en.wikipedia.org/wiki/Precautionary_principle
·    Le financement participatif du Longevity Cookbook: www.indiegogo.com/projects/longevity-cookbook#/story

vendredi 1 mai 2015

Plaidoyer progressiste et technoprogressiste du 1er mai 2015 Pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue pour tous


Depuis le 1er mai 2014, l'espérance de vie en bonne santé a augmenté de près d'un trimestre dans le monde. La durée moyenne de la vie des hommes et des femmes en France et en Belgique est de plus de 80 ans. Dans le monde, des millions de citoyens qui seraient morts au cours des douze derniers mois sans progrès de santé et croissance technologique coulent aujourd'hui des jours relativement paisibles.

Jusqu'à la première moitié du siècle passé au moins, le désir de progrès technique et le désir d'égalité sociale étaient liés. La gauche rêvait de lendemains qui chantent. Ces lendemains étaient faits de plus d'égalité, de plus de biens et d'un monde plus facile à vivre matériellement et technologiquement.

Aujourd'hui, malheureusement, les progressistes ne rêvent plus guère de progrès technique, sauf dans une certaine mesure pour les énergies renouvelables. C'est probablement dû au traumatisme de l'échec de l'Union soviétique qui se réclamait du communisme et du progrès technique. Par ailleurs, le développement des pollutions et le réchauffement climatique ont mené beaucoup de progressistes à vouloir "renverser la vapeur" là où il fallait plutôt la purifier et donc l'orienter autrement. Il y a enfin la peur que les progrès augmentent les inégalités.

Pourtant, contrairement à ce que beaucoup pensent, l'accélération du bien-être est plus grande dans les pays du Sud qu'au Nord. La mortalité infantile qui était une source majeure de décès poursuit sa diminution. La pauvreté multidimensionnelle décroît.

Dans ce cadre de progrès humains globaux sans équivalent dans l'histoire de l'humanité, le téléphone mobile est passé en moins d'une génération du statut de bien de luxe à celui d'outil utilisé par la majorité des citoyens du monde. Près de deux milliards de personnes dans le monde sont connectées de manière mobile. Bien avant la fin de cette décennie, la majorité des citoyens devrait avoir un accès mobile à internet. Une part énorme des connaissances collectives universelles sera accessible à une large majorité. Ceci pourra se faire presque sans coût et sans discrimination, surtout si les progressistes se mobilisent en faveur de progrès techniques pour tous.

Dans les développements à court et moyen terme, les (techno)progressistes pourraient exiger que chaque citoyen ait droit à un téléphone dit intelligent (avec des rayonnements faibles, mais avec des accès forts à des services collectifs). Ils pourraient proposer que Google et Wikipédia fonctionnent comme des services publics de plus en plus développés.

Ils devraient également réfléchir à l'impact de la robotisation et des imprimantes 3 D en termes d'accessibilité et de diffusion de biens. Des emplois fastidieux en moins, c'est, dans un monde technoprogressiste, une réduction généralisée du temps de travail possible et une incitation supplémentaire à octroyer un revenu inconditionnel à chaque citoyen.

Une gauche proactive devrait exiger des investissements publics importants pour permettre à tous de vivre mieux et plus longtemps. Aujourd'hui les différences entre espérances de vie au Sud et au Nord s'amenuisent. Mais si les résultats des recherches pour une meilleure santé et une vie plus longue ne sont pas publics, les progrès seront d'abord réservés aux plus aisés, seuls capables de s'offrir les soins et de vivre là où la pollution et les particules fines sont moindres.

En 2015, les investissements publics en faveur de la longévité sont limités alors que Google et d'autres sociétés placent des sommes importantes et engagent des chercheurs renommés dans ce domaine. Cela crée un risque de renforcement des inégalités.

Chaque centime de financement public utilisé avec succès pour des progrès médicaux contre les maladies liées au vieillissement peut bénéficier un jour à toute personne âgée. C'est l'investissement collectif le plus solidaire imaginable actuellement, un bénéfice potentiel pour des milliards d'êtres humains sans distinction de nationalité, d'origine, de capacité financière,...

Une gauche favorable aux progrès devrait donc exiger des avancées technologiques collectives beaucoup plus rapides dans les domaines de la recherche médicale.

Il est vrai que ces progressions gigantesques ne résolvent pas (encore?) tous les problèmes de bien-être. En effet, l'abondance est un instrument insuffisant pour permettre le bonheur de tous. De plus, au-delà d'un certain niveau de confort matériel, la perception du bien-être se fait surtout par comparaison avec le niveau matériel des autres, lequel progresse aussi. Il restera donc un jour à la gauche (et pas qu'à elle) à découvrir comment augmenter le bonheur dans une économie d'abondance où le lait et le miel couleront tellement à flot pour tous que cela ne suffira plus à nous satisfaire.

Pourquoi encore la gauche doit-elle être technoprogressiste? Pour développer l'égalité (radicale) du futur dans un monde où le travail tel que nous le connaissons sera de moins en moins nécessaire. Mais aussi parce que les progressions technologiques comprennent des risques immenses dans les développements contemporains (pollutions, effets de serre, risques pour la vie privée,...) et dans les développements à moyen terme. Ces risques à moyen terme, beaucoup moins souvent abordés, sont des risques existentiels liés à la maîtrise de plus en plus absolue de la structure du vivant, de la matière et surtout liés à une intelligence artificielle incontrôlée. Et le principe de précaution dans une société évoluant, ce n'est pas toujours arrêter les modifications technologiques, cela peut-être au contraire les accélérer pour sauver des vies et diminuer des risques.

Pour que le progrès technique ait le plus de chance d'être aussi un progrès tout court, pour que les lendemains extraordinaires soient aussi des lendemains qui chantent, un des éléments favorables est une gauche proactive, capable de faire primer paix, égalité, justice et souci du bien commun sur les intérêts financiers et matériels à court terme. Peu de politiques de gauche semblent l’avoir compris.

Il faut penser globalement pour agir localement. Il faut aussi penser à long terme pour agir à court terme. La question n'est plus de savoir si les progressions technologiques vont permettre une vie beaucoup plus longue en bonne santé, mais de réfléchir collectivement aux conséquences, de permettre à tous ceux qui le souhaitent de vivre plus longtemps et de maîtriser les risques. La science-fiction d'aujourd'hui, rêve ou cauchemar, voire plus probablement rêve et cauchemar, ne sera pas seulement la réalité de nos enfants, c'est aussi la nôtre.






Réactions: didier.coeurnelle@gmail.com