jeudi 3 novembre 2011

La mort de la mort. Numéro 31. Octobre 2011.

Les apologies du vieillissement humain peuvent être vues comme un mécanisme psychologique de défense que beaucoup déploient comme un moyen de supporter leur propre "capture" par l'inévitable processus de la sénescence. Mais, tout comme le lien émotionnel observé lors du syndrome de Stockholm peut devenir contreproductif lorsqu'il conduit les victimes à aider les preneurs d'otages en bloquant les efforts de la police, notre acceptation du vieillissement devient un problème lorsqu'elle nous empêche de mettre en œuvre les recherches les plus prometteuses pour augmenter l'espérance de vie en bonne santé. (Sonia Arrison, 100+ How the coming age of longevity will change everything, from careers and relationships to family and faith, page 98)(traduction).

Thème du mois: Longévités extrêmement courtes chez les êtres vivants

En touchant une substance étrange ou suite à un sort, un être humain malchanceux vieillit à une vitesse accélérée en quelques heures, en quelques minutes ou en quelques secondes. Ensuite, il meurt et tombe en poussière.

Qui n'a pas vu cette idée dans un livre ou un film fantastique? Heureusement, c'est de la fiction. Dans la réalité biologique, tous les êtres vivants ne sont pas égaux mais l'être humain est plutôt chanceux.

Quels sont les êtres vivants multicellulaires qui vivent le moins longtemps? De manière générale, en ce qui concerne les animaux, ce sont les espèces
  • de petite taille,
  • au métabolisme le plus rapide,
  • victimes d'une prédation importante.
Parmi les mammifères, les musaraignes semblent détentrices des records. Ce sont des animaux de toute petite taille, très actifs. Ils dévorent quotidiennement l'équivalent de leur propre poids et ont de nombreux prédateurs naturels. La durée de vie d'une musaraigne n'excède pas trois ans mais certaines espèces semblent même ne jamais dépasser l'année de vie.

De nombreux autres petits mammifères ont une durée de vie très courte: les hamsters, les souris,... Mais d'autres espèces de petite taille, par exemple certaines espèces de chauves-souris et d'écureuils, vivent nettement plus longtemps (plus de 15 années).

Parfois, pour expliquer la durée de vie, il a été affirmé que le nombre de battements du cœur au long d'une vie était stable chez toutes les espèces, environ un milliard de pulsations et que la brièveté de l’existence des petits animaux s'expliquait par la rapidité des battements cardiaques. En fait, un milliard de pulsations mène l'homme à une trentaine d'années, la musaraigne à deux années et la baleine bleue à plus de 150 ans. Globalement, il est donc exact qu'il y a un lien, mais cela n'explique pas toutes les variations.

Parmi les vertébrés marins, l'espèce détentrice du record de brièveté est le Gobie pygmée, un minuscule poisson de moins de deux centimètres vivant dans les coraux une courte existence d'une soixantaine de jours.

En ce qui concerne les poissons d'eau douce, ce sont les "killies annuels" qui détiennent le record. Ces poissons de très petite taille vivent leurs courtes existences dans des mares temporaires d'Afrique équatoriale. Ils naissent, pondent et meurent en une saison. Seuls les œufs peuvent résister à la saison sèche. Pour l'espèce la plus éphémère, Nothobranchius furzeri, la durée de vie en captivité n'excède pas 12 semaines. C'est, bien sûr, l'inutilité en termes de sélection naturelle, d'une vie plus longue, qui a provoqué cette situation.

Une espèce de caméléon vivant à Madagascar, Furcifer labordi, a le même type d'espérance de vie que les killies. Les œufs éclosent en novembre, les animaux sont adultes au bout de deux mois, les pontes se passent dès le mois de janvier et les derniers animaux meurent en février ou en mars. Comme les killies, ces caméléons vivent dans un environnement caractérisé par une saison sèche ne permettant pas la survie des adultes. Les caméléons passeront en fait la plus grande partie de leur existence à l'état d'embryon dans l’œuf attendant l'arrivée de la brève belle saison.

Chez les insectes, de nombreuses espèces ont une vie adulte extrêmement courte. L'ordre des éphéméroptères ou plus familièrement des éphémères comprend des espèces qui, comme leur nom l'indique, ne survivent que très peu de temps à la phase adulte. En fait, l'animal adulte ne survit que le temps nécessaire à la reproduction et n'a même pas de système digestif. Mais la phase larvaire est, elle, beaucoup plus longue, de l'ordre de trois années. La durée de vie adulte de nombreuses espèces de papillons est également courte, certains étant d'ailleurs également dépourvus de systèmes digestifs. Par contre, chez la
drosophile, c'est le cycle de vie entier qui est extrêmement court, environ 30 jours. C'est une des raisons pour lesquelles, c'est l'insecte de laboratoire le plus intéressant et le plus utilisé au monde, notamment pour étudier les moyens de modifier la durée de vie selon que ce soit par des modifications génétiques ou par d'autres moyens.

Parmi les animaux de toute petite taille, Caenorhabditis elegans est un ver nématode d'environ un millimètre qui fait également l'objet d'innombrables études en laboratoires. Sa durée de vie dans des conditions normales, est de trois semaines. Les gastrotiches, autres vers presque microscopiques vivent encore moins longtemps, certains atteignant leur maturité sexuelle à deux jours et mourant de vieillesse le troisième jour!

Du côté des plantes, la rose ne vit peut-être que l'espace d'un matin mais l'existence d'une plante dans son ensemble est tout de même plus longue. De très nombreuses espèces vivent moins d'une année et ne subsistent par exemple durant l'hiver que sous forme de graine. Comme pour les animaux, ce sont des circonstances climatiques extrêmes qui ont pour conséquence les vies les plus brèves. Ainsi l'existence de la Boehavia Repens du Sahara peut se réduire à une dizaine de jours après la germination suite à une brève pluie.

Dans le domaine de la brièveté comme dans celui des longévités les plus longues, la diversité du vivant est gigantesque. Sauf chez les souris et les rats, les aspects génétiques des durées de vie les plus courtes chez les vertébrés sont actuellement moins étudiés que celles les plus longues. Il y reste probablement des informations précieuses à découvrir, chaque séquence génétique jouant un rôle dans la longévité étant susceptible de fournir une clef d'explication qui pourra un jour être utile à la compréhension et à la maitrise des mécanismes du vieillissement des humains.


La nouvelle du mois: une décision européenne de justice préoccupante selon certains chercheurs, positive pour d'autres.

Dans un arrêt du 18 octobre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne interprète l’exclusion de la brevetabilité portant sur l’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales qui relève de la directive européenne 98/44. Elle dit notamment pour droit que:

L’exclusion de la brevetabilité portant sur l’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales (…) porte également sur l’utilisation à des fins de recherche scientifique, seule l’utilisation à des fins thérapeutiques ou de diagnostic applicable à l’embryon humain et utile à celui-ci pouvant faire l’objet d’un brevet.

Pour certains chercheurs, cette décision va empêcher des recherches relatives à la longévité dans l'union européenne parce que les entreprises concernées n'auront plus un intérêt financier à les poursuivre. Pour d'autres, moins nombreux, cette décision est positive, car elle limitera le risque que des technologies favorables à l'augmentation de la longévité ne soient accessibles qu'à une minorité de patients riches pendant la durée du brevet (20 ans).

Si le point de vue optimiste est choisi, la décision peut entre autres avoir pour conséquence:

  • un encouragement à des recherches financées par les pouvoirs publics en Europe au lieu de recherches à but lucratif;
  • la possibilité de poursuivre des recherches privées en dehors de l'Europe, mais avec une pression potentielle forte de l'opinion publique mondiale, le jour où des résultats seront obtenus, pour que ceux-ci soient rapidement rendus accessibles à tous;
  • une prise de conscience européenne que les progrès médicaux sont rapides en Europe et ailleurs.