dimanche 11 septembre 2011

La mort de la mort. Numéro 29. Août 2011.


Tant que l’homme sera mortel, il ne sera jamais décontracté. Attribué à Woody Allen.

Pourquoi vieillissons-nous: justifications philosophiques et éthiques

Il n'est pas certain que l'être humain est le seul être vivant conscient de la mort. Mais il est le seul à savoir l'inéluctabilité de sa fin. Depuis des millénaires, probablement depuis la prise de conscience de l'inévitabilté de la mort biologique, nous nous sommes demandé "Pourquoi vieillissons-nous?"

Il s'agit dans cette lettre, de résumer non pas les théories scientifiques, mais les justifications éthiques ou philosophiques que l'histoire écrite de l'humanité nous a laissé en plusieurs millénaires. En quelques pages, les explications ne pourront être que résumées à l'extrême.

Il existe deux grandes catégories de courants de pensée:

La première catégorie est historiquement immensément majoritaire: le vieillissement est la volonté d'une ou de plusieurs puissances surnaturelles.

La seconde catégorie expose les avantages du vieillissement indépendamment d'une puissance surnaturelle et les inconvénients d'un monde sans vieillissement.

Les explications religieuses

Les dieux organisent souvent toutes les morts. Les religions qui se veulent explication du mode se naissent et disparaissent aussi les unes après les autres dans le torrent des siècles. Mais cela, les textes religieux, tant des croyances défuntes que de celles qui ne le sont pas encore, ne l'ont pas prévu.

Les écrits fondateurs visent à expliquer le monde tel qu'il est connu au moment où la conviction religieuse apparait. Généralement, le caractère mortel de l'être humain ressort d'une décision d'une ou de plusieurs entités qui ont créé le monde et notamment l'humanité. Il n'y a pas nécessairement une volonté particulière attribuée à la puissance divine pour le vieillissement. En effet, jusqu'à un passé récent, la mort suite aux maladies liées au vieillissement n'était pas la source principale de mortalité.

La mort inéluctable des individus est toujours intégrée dans le corpus religieux. Elle fait partie de l'ordre de l'univers. Il peut s'agir d'une disparition sans au-delà ou d'un passage potentiel vers un autre type d'existence.

Parfois, la mort sera expliquée comme un cycle. Il peut aussi s'agir d'une sorte d'accident ou encore d'une volonté de punir. Parfois enfin, traduits par des sacrifices humains, sont même nécessaires à la société. C'était le cas chez les carthaginois, les aztèques et les mayas.

Une caractéristique commune de quasiment toutes, voire de toutes les religions, c'est que, après la mort, ce qui était l'entité ne disparait pas.

Cela peut être le corps lui-même qui survivra, comme chez de nombreux chrétiens, égyptiens anciens et musulmans. Mais cela peut aussi être un passage dissocié du corps, soit que la conscience devienne autonome comme dans beaucoup de religions animistes, soit que cette conscience soit transférée, réincarnée dans d'autres êtres, souvent humains, comme chez les hindouistes, taoïstes et bouddhistes.

Les trois grandes catégories d'existence après la mort (résurrection, réincarnation et dématérialisation) peuvent même coexister dans une religion déterminée. Ceci s'explique notamment par les aspects syncrétiques de nombreuses convictions religieuses. Ainsi, pour la religion catholique, la résurrection est précédée d'une période d'attente où les âmes sont donc sans enveloppe charnelle.

Selon les religions, la possibilité du passage s'adressera à tous les humains ou à certains. Même si tous les défunts sont concernés par le passage, généralement, le sort après le décès ne sera pas le même. Le plus souvent, le comportement, particulièrement la manière de mourir, aura une influence sur la possibilité du passage et sur la destination. Chez de nombreux chrétiens et musulmans, il s'agit bien sûr du passage vers l'enfer ou le paradis, mais ce type de passage existait aussi notamment chez les grecs, les romains et les égyptiens anciens, les aztèques, les mayas,...

Parfois, le sort après la mort sera donc meilleur que le sort avant. Et souvent, pour ceux qui respectent les prescriptions et qui répondent à toutes les conditions, l'existence postérieure est sans vieillissement. La souffrance humaine apparait donc compatible avec une puissance surnaturelle voulant le bien des êtres humains.

De manière générale, le pourquoi de la mort selon les religions peut donc être expliqué par la "nécessité" de permettre un passage vers une autre entité. Que le ou les dieux soient bons envers l'humanité ou pas, en tout cas, ils exigent la transition de la forme humaine vivante vers un autre état.

Les explications non religieuses

Le terme "explications non religieuses" ne signifie pas qu'il s'agit d'explications provenant de sources agnostiques. Les croyants peuvent avancer un raisonnement non basé sur la transcendance comme un mode d'explication du choix divin. Ainsi, nombre de chrétiens et musulmans justifieront la nécessité de mourir de vieillesse pour éviter l'ennui alors que leur corpus religieux suppose la vie éternelle dans un bonheur absolu (et sans ennui!) après la mort.

La logique naturelle


Comme tous les êtres vivants sont mortels et comme tous semblent mourir de vieillesse, il serait contraire à la logique de la nature de vivre sans limitation de durée. Etre immortel serait pour les hommes se faire l'égal des dieux. Pour ceux qui croient en un dieu, cela pourra être perçu comme interdit par lui; pour ceux qui ne croient pas en dieu, cela pourra être perçu comme impossible et/ou immoral car trop orgueilleux. Le terme grec hybris, sera utilisé par certains pour représenter cette démesure.

La lutte contre la surpopulation


Un monde sans vieillesse et où les hommes et les femmes continueraient à avoir des enfants autant qu'aujourd'hui deviendrait un jour surpeuplé. Pour éviter cela, il est préférable d'obliger les personnes âgées à mourir plutôt que de réduire le nombre d'enfants par des moyens contraceptifs. Cette priorité des enfants à naître sur des êtres humains bien vivants est généralement expliquée par la volonté de permettre la succession des générations (malgré que la surpopulation se produise beaucoup plus dans les pays où l'espérance de vie est faible et non le contraire). Ceux qui refusent de mourir de vieillesse sont alors considérés comme des égoïstes incapables de "céder la place".

Le sens de la vie - L'ennui

Comme le disait une romancière britannique Suzan Ertz, des millions d'hommes désirent ardemment l'immortalité alors qu'ils ne savent pas quoi faire un dimanche après-midi pluvieux. Tout comme de trop longues vacances ennuient, une vie trop longue perdrait de sa saveur. C'est donc, pour le bien des individus eux-mêmes qu'il faut qu'ils meurent. Ce raisonnement est tout à fait honorable tant qu'il cherche seulement à convaincre. Mais pour certains, il ne s'agit pas seulement de convaincre mais bien d'obliger à mourir de vieillesse en interrompant les progrès scientifiques. Dans l'immense majorité des cas, les individus qui prônent le décès non retardé des autres acceptent par contre les progrès médicaux existants pour eux et pour les membres de leurs familles. Il s'agit d'un des très rares cas d'explication à vocation éthique où des individus souhaitent imposer la mort à d'autres pour leur bien.

Ce mécanisme de pensée n'a pas encore de définition philosophique communément admise. Mais dans le domaine de la criminologie, il y a un équivalent. Le terme de crime altruiste sera utilisé par exemple pour la mère qui laisse mourir un enfant parce qu'elle estime qu'il souffrirait trop s'il continuait à vivre. Très souvent, ce type de crime altruiste s'explique en fait par l'état mental de l'auteur du crime et non par celui de la victime.

En guise de (non) conclusion

En résumant à l'extrême, deux grandes explications sont proposées à la mort par vieillissement comme à la mort en général: une obligation supérieure à l'être humain ou un mécanisme de protection contre nous-mêmes. Force est de constater qu'à ce jour, très peu de gens ont opposé ces arguments lorsque des progrès en matière de longévité ont abouti. En cas de poursuite des progrès de longévité, l'avenir dira si, dans le futur, certains souhaiteront appliquer une obligation de mourir à ceux qui souhaiteront vivre "trop longtemps".


La bonne nouvelle du mois

Les inégalités entre le nord et le sud continuent de décroitre en ce qui concerne l'espérance de vie. L'espérance de vie croît presque partout dans le monde, mais plus vite dans les pays du Sud. Le tableau en début de lettre montre clairement la convergence au cours des 50 dernières années entre les trois États du Nord les plus peuplés: les États-Unis, le Japon et la Russie et les trois États les plus peuplés du Sud: Chine, Inde et Indonésie.

- Pour en savoir plus de manière générale: http://sens.org/, http://imminst.org/, http://heales.org/ et http://immortalite.org/
- Pour en savoir plus à propos de l'espérance de vie dans le monde: http://gapminder.org
- Pour réagir ou recevoir la lettre d'information: info@heales.org

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