lundi 30 décembre 2013

La mort de la mort. Lettre de décembre 2013. Numéro 57.

Senectus ipsa est morbus. La vieillesse elle-même est une maladie. Publius Terentius Afer, auteur latin dans une comédie intitulée "Phormion". Deuxième siècle avant Jésus-Christ. 


Thème du mois: Longévité et expérimentation animale

L'immense majorité des espèces animales subissent la sénescence. Ceci signifie que, même placés dans un environnement parfaitement adapté, les dommages physiologiques qui se produisent du simple fait de l'écoulement du temps s'accumulent et finissent par provoquer le décès, même en l'absence de prédateur, de parasites ou de maladies infectieuses.

Pour la plupart des espèces animales y inclus l'homme, non seulement l'écoulement du temps provoque le décès, mais l'évolution des dégradations est exponentielle plutôt que linéaire.  Donc, le pourcentage de mortalité durant une période de temps déterminée croit avec l'âge.

Pour l'être humain, il est généralement admis que la mortalité suite au vieillissement double à partir de l'âge adulte environ tous les huit ans (modèle dit de Gompertz). Pour les autres espèces, le rythme de croissance de la mortalité diffère. Les durées de vie en captivité, moyennes et extrêmes sont en effet très différentes d'une espèce animale à l'autre. En général, plus une espèce est petite, plus elle a des prédateurs dans le cadre naturel, plus sa vie en captivité (donc même en l’absence de prédateurs) sera courte. Par ailleurs, à l'intérieur d'une même espèce, les durées de vie moyennes et maximales des individus varient selon les groupes. Par exemple, les races de chiens et de souris de petite taille vivent généralement plus longtemps.

Le vieillissement étant un processus lent, l'expérimentation est difficile. Plus la durée de vie d'un animal est longue, plus l'expérimentation est complexe et coûteuse. Par contre, étant donné que nous, êtres humains avons la chance de pouvoir vivre près d'un siècle, plus la durée de vie des animaux d'expérimentation est longue, plus la comparaison avec la situation humaine sera pertinente. Pour ces raisons, les expérimentateurs et les observateurs se sont intéressés tant à des animaux à durée de vie courte qu'à des animaux à durée de vie longue.

Il faut savoir que certains chercheurs estiment que la croissance de la mortalité avec l'âge (l'aspect exponentiel) n'est pas une règle absolue. Certaines espèces de poissons, notamment les sébastes, certaines espèces de reptiles, notamment des tortues et même certaines espèces d'oiseaux pourraient avoir un taux de mortalité qui ne croît plus au-delà d'un certain âge. Il en va de même pour d'assez nombreux invertébrés (homards, oursins, anémones de mer, quahogs,...). Certains parlent même de "sénescence négative", d'une mortalité annuelle décroissant pour les individus âgés. En ce qui concerne les vertébrés, actuellement, il n'y a pas d'expérimentation animale pour vérifier ces hypothèses. Puisque ces animaux vivent très longtemps, si des tests peuvent être réalisés pour des animaux en captivité, les résultats se feront probablement attendre pendant des décennies.

Par ailleurs, l'expérimentation animale pose des questions éthiques. Les tests sur des animaux de laboratoire, parmi lesquels les rats et les souris, font l'objet d'intenses et passionnés débats publics. Il est à remarquer que l'élimination de leurs lointains cousins qui se trouvent dans les caves, greniers et égouts souvent à quelques mètres des laboratoires ne fait l'objet de presque aucune interrogation alors même que la mise à mort se fait généralement par l'usage d'anticoagulants (mort aux rats) provoquant un décès lent et douloureux. Ceci étant écrit, en ce qui concerne les expérimentations relatives à la longévité, l'objectif étant de permettre une vie plus longue en bonne santé, le strict respect des règles légales et des principes de respect des animaux élevés est une garantie éthique, mais aussi une garantie d'efficacité. Il faut donc y être extrêmement attentif.

Parmi les mammifères, les animaux les plus testés pour la longévité, comme d'ailleurs pour toutes les expérimentations dans le domaine de la santé, sont les rats et les souris. Ceux-ci ont une espérance de vie de moins de trois années. Les autres animaux souvent sujets d'expérimentation, notamment les cobayes et les lapins ne sont presque jamais sujets d'expériences relatives à la longévité. Il en va de même pour les porcs. Ce qui est regrettable. En effet, les cochons présentent une très grande ressemblance physiologique avec les êtres humains, mais avec une durée de vie maximale nettement plus courte (environ 25 ans maximum).

Pour ce qui concerne les primates, tant pour des raisons éthiques qu'économiques et techniques, les expérimentations sont actuellement rares. Ce sont principalement des singes rhésus qui ont été sujets d'expérimentation pour ce qui concerne l'impact de l'alimentation sur la longévité.

Un autre mammifère qui est parfois étudié est le rat-taupe nu car ce rongeur bénéficie d'une longévité exceptionnellement grande.

Les tests ne s'arrêtent pas aux mammifères. Ils concernent également des animaux de plus petite taille, principalement deux espèces célèbres dans les laboratoires: les drosophiles et le ver nématode Caenorhabditis elegans. Ces espèces ont une espérance de vie courte et elles ont bien sûr beaucoup moins en commun avec l'être humain qu'une souris, même si plus de 50 % du patrimoine génétique de la drosophile est commun avec celui de l'être humain.

Quels sont les tests qui sont effectués?

Deux catégories d'expérimentations peuvent être distinguées: 

L'observation dans des circonstances "naturelles" modifiées

L'objectif de ces tests est de comprendre les mécanismes du vieillissement dans des situations qui ne supposent pas une modification des animaux eux-mêmes. Il s'agira de savoir quels sont les facteurs qui influencent l'animal de manière positive ou négative. Parmi les nombreux facteurs d'influence qui ont déjà été testés figurent:

- l'apport calorique,
- la luminosité,
- la température,
- le sommeil,
- le taux d'activité,
- le niveau de bien-être,
- l'activité sexuelle,
- l'apport en oxygène.

Les tests de nouvelles substances et les thérapies géniques

Il s'agit de trouver des nouvelles substances chimiques ou pharmaceutiques ou des modifications génétiques qui permettent aux animaux une durée de vie plus longue et en bonne santé. Parmi les innombrables tests qui ont déjà été effectués, il y a ceux qui concernent

- des produits fluidifiant le sang,
- des médicaments couramment utilisés chez l'homme,
- des additifs alimentaires,
- des produits toxiques à forte dose, mais qui pourraient avoir un effet positif à faible dose (hormèse),
- des hormones et des vitamines,
- des thérapies géniques supposant une modification de l'animal à la naissance
- des thérapies géniques supposant une modification thérapeutique sur des animaux adultes,
- l'introduction de cellules-souches.

Pour toutes les expérimentations, idéalement, le travail des chercheurs devrait comparer plusieurs groupes d'animaux vivant dans des conditions similaires, avec la garantie d'absence de toute influence possible de l'expérimentateur de manière consciente ou inconsciente (études randomisées en double aveugle). Malheureusement, beaucoup d'études, même parmi celles largement médiatisées, ne respectent pas encore ce principe.

Une des raisons principales de la lenteur des expérimentations est la lenteur du processus de vieillissement. Une méthode relativement simple pour détecter plus rapidement des effets serait de débuter les tests sur des animaux déjà âgées, par exemple sur des souris de 18 mois (âge du début de la "vieillesse" pour cet animal) et non pas sur des jeunes adultes de 6 mois.

Nous ne savons pas si la première personne qui atteindra l'âge de deux cents ans est déjà née et, par définition, nous ne le saurons pas avec certitude avant la fin de ce siècle. En effet, le citoyen du monde le plus âgé aujourd'hui a 116 ans, il ne pourrait atteindre 200 ans qu'en 2098. Par contre, nous avons une chance de connaître la première souris vivant deux fois plus longtemps qu'une souris ordinaire dans moins d'une décennie.


Bonne nouvelle du mois: financement collectif pour prolonger la vie en bonne santé de souris ukrainiennes


Des chercheurs ukrainiens, alliés à des partenaires notamment français, britanniques et belges ont lancé un "crowdfunding" pour effectuer des expérimentations sur des souris âgées (20 mois). L'objectif était de récolter un financement de 15.000 dollars. Il a été largement et rapidement dépassé et ce sont plus de 22.000 dollars qui permettent déjà des tests dans le domaine de longévité. Par-delà ce montant encore de petite taille, nombre d'autres projets sont en développement dans de nombreux lieux de recherche.
  

Pour en savoir plus 

vendredi 13 décembre 2013

La mort de la mort. Lettre de novembre 2013. Numéro 56.

Nous sommes finalement arrivés à un point de l'histoire humaine où nous sommes réellement en train de trouver les outils pour vivre plus longtemps et en meilleure santé. Nous devons donc commencer à penser à ce à quoi l'avenir va ressembler. (...) Les histoires que nous nous racontons, comme élément de notre culture, sont une façon d'élaborer ces scénarios dans nos esprits. (...). Jusqu'à présent, Hollywood ne s'est pas saisi de cela. Mais ils ont réellement besoin de le faire. Sonia Arrison (traduction, auteur du livre How the Coming Age of Longevity Will Change Everything, From Careers and Relationships to Family and Faith).



Thème du mois: Sérendipité et progrès scientifiques dans le domaine de la santé


La sérendipité, dans le domaine scientifique, désigne une découverte faite de manière fortuite, généralement dans le cadre d'une autre recherche. Le terme "sérendipité" s'utilise aussi plus largement, pour tout ce qui est trouvé ou retrouvé par hasard dans les domaines de la vie courante.

Pour ce qui concerne les recherches relatives à la santé, l'exemple le plus connu et le plus importante à ce jour de découverte par sérendipité est celui de la découverte de la pénicilline. Alexander  Fleming était un scientifique brillant, mais parfois distrait qui testait des agents antibactériens. Il devait nettoyer des boîtes de culture envahies de moisissures en les plongeant dans du désinfectant. Certains récipients étaient incomplètement immergés dans le désinfectant et donc les moisissures subsistaient. Le 3 septembre 1928, le chercheur s’aperçut que, sur les parties des boîtes proches des moisissures subsistantes, les bactéries ne se développaient pas. Il constata plus tard, en examinant les moisissures concernées, qu'elles contenaient une substance bactéricide, qu'il appellera pénicilline. Aujourd'hui, cette substance a sauvé des dizaines voire des centaines de millions de vie.

Chaque avancée scientifique est le fruit de nombreux éléments. Par définition, un chercheur effectuant des expérimentations ne sait pas exactement s'il va constater ce qu'il souhaite, sinon il ne serait plus scientifique, mais simple vérificateur. Le scientifique a cependant généralement une idée assez précise du résultat potentiel de ses expérimentations.  Mais dans d'innombrables cas, ce qui est constaté est fort différent de ce qui était attendu. Ce qui est trouvé ou ce qui se passe n'est donc pas directement utile dans le contexte concerné, mais l'est dans d'autres domaines. Ce n'est donc pas seulement le hasard qui "fait bien les choses", il faut aussi une utilisation adéquate d'informations dans un cadre autre que celui prévu au départ.

La sérendipité aujourd'hui reste-t-elle aussi importante qu'hier? La multiplication des recherches et des publications scientifiques semble rendre improbable une découverte majeure en dehors des "sentiers battus". Mais, en fait, dans les domaines de la longévité, les champs de connaissance scientifique insuffisante restent très nombreux. Pour n'en citer que quelques-uns, nous ne savons toujours pas avec certitude:
  • pourquoi les femmes vivent plus longtemps
  • à quel degré le sport et l'exercice favorisent la longévité
  • si nous aurons tous la maladie d'Alzheimer si nous vivons suffisamment longtemps
  • quelles sont les véritables causes des maladies neurodégénératives
  • et tout simplement pourquoi nous vieillissons
Des centaines de facteurs qui semblent avoir une influence positive ou négative sur la longévité sont examinés, testés, expliqués. Chaque chercheur travaillant dans le domaine de la longévité a son avis, ses convictions, ...

Il y a peu de certitudes si ce n'est que les processus de dégradation que nous appelons le vieillissement varient fortement selon les individus. Cela signifie très probablement que la longévité dépend d'une combinaison de nombreux éléments dont beaucoup jouent un rôle important. Il est également fort probable que la combinaison de divers éléments relatifs à la longévité a des effets spécifiques, éloignés d'une simple addition de conséquences.

Les combinaisons des différents facteurs ne peuvent être examinées systématiquement. Mais des milliers de scientifiques qui ne travaillent pas dans des domaines spécifiques à la recherche de longévité, recueillent des données potentiellement utiles: chercheurs travaillant pour la prévention des risques chimiques et industriels, statisticiens déterminant les probabilités de décès, économistes mesurant les taux de morbidité, d'incapacité, ... 

A terme prévisible, la progression des connaissances dans le domaine de la longévité continuera à comprendre une part importante d'imprévu. Si, chez la majorité des chercheurs, la détection de mécanismes "anormaux", "accidentels", "illogiques" relatifs à la longévité reste présente, à l'arrière-plan du travail principal, les potentialités de progressions en faveur d'une vie plus longue en bonne santé s'étendront encore.



Bonne nouvelle du mois: Google engage une spécialiste mondiale de la recherche contre le vieillissement



La société Calico, créée par Google en septembre, vient d'engager quatre scientifiques brillants. Parmi ceux-ci la biogérontologiste américaine Cynthia Kenyon. Madame Kenyon est notamment célèbre pour avoir effectué des tests sur le nématode Caenorhabditis elegans. Elle était parvenue, par une combinaison de mutations génétiques et de restriction calorique à multiplier par six la durée de vie de vie de certains de ces animaux.

Cynthia Kenyon est une défenderesse convaincue des progrès en matière de longévité en bonne santé pour les femmes et les hommes. Elle a donné de nombreuses interviews et conférences à ce sujet et a testé sur elle-même la restriction calorique. Elle devrait disposer sous peu de moyens financiers considérables pour poursuivre les recherches en matière de longévité des nématodes mais aussi et surtout des êtres humains.



Pour en savoir plus 
·         De manière générale, voir notamment:  http://heales.orghttp://sens.org et http://longecity.org
·         A propos de la sérendipité: http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rendipit%C3%A9
·         Source de l'illustration: timbre représentant Alexander Fleming