jeudi 10 mai 2012

La mort de la mort. Numéro 37. Avril 2012.


”On va pouvoir corriger les pathologies du vieillissement”, comme les cancers ou l’ostéoporose, et “améliorer la qualité de vie” des patients. Jusqu’à atteindre un jour l’immortalité, “le but inavoué de la médecine”,  Jean-Marc Lemaitre, chercheur français de l'Inserm  ayant étudié la transformation de cellules de centenaires en cellules-souches


Thème du mois : l'espérance de vie en bonne santé



Depuis quelques années, un concept nouveau est de plus en plus utilisé en ce qui concerne les informations relatives à l'espérance de vie: l'espérance de vie sans incapacité. Ce concept est intéressant. Il s’agit de distinguer, durant la vie, les périodes durant lesquelles notre état de santé empêche une vie normale. Dans les mesures communiquées, on constate notamment généralement que le pourcentage de durée de vie en bonne santé estimée pour les femmes est moins important que celui des hommes, donc les femmes vivent proportionnellement plus longtemps en mauvaise santé.

Souvent implicitement, cette nouvelle mesure mène à une distinction entre les périodes qui « valent la peine d’être vécues » et celles durant lesquelles les citoyens se dégradent plus ou moins progressivement. Les anglo-saxons parlent de "QALY", "Quality Adjusted Life Year" c'est-à-dire d'année de vie corrigée de l’incapacité.

Il est évidemment important de mesurer, en plus de l’espérance de vie, l’état de santé. Mais mesurer la durée de vie en bonne santé est complexe:
  • Alors que le moment d'un décès est un élément indiscutable (sauf cas très particuliers comme les comas dépassés et les disparitions), il n'y a pas de limite claire entre bonne santé et mauvaise santé. La définition de la durée de vie en bonne santé dépend donc du choix des indicateurs.
  • Alors que les indicateurs statistiques relatifs à l'espérance de vie portent sur l'ensemble de la population (sauf les personnes inconnues de l'administration), les statistiques relatives aux années de vie en bonne santé sont souvent basées sur des échantillons de population.
  • Les indicateurs de vie en bonne santé peuvent être objectifs ou subjectifs. Pour les indicateurs objectifs, il peut par exemple s'agir du nombre de personnes percevant une allocation de personne handicapée, en maison de retraite, en absence de longue durée pour raison médicale…  Pour les indicateurs subjectifs, l'état de santé est simplement mesuré en demandant aux personnes si elles se sentent en bonne santé ou pas. Il va de soi que la mesure subjective, même si elle donne des résultats qu'il est important de connaitre en matière de perception, peut fortement varier selon des éléments indépendants de l’état de santé proprement dit. Pour les éléments de mesure objectifs, ceux-ci sont également très dépendants d'éléments extérieurs à l'état de santé lui-même. Les évolutions législatives en matière de sécurité sociale permettent, sur le long terme, une couverture médicale accrue.  Ainsi, en Belgique, en région flamande, des allocations spécifiques peuvent être versées pour des personnes dépendantes en plus des autres prestations de sécurité sociale proprement dites (allocations aux personnes handicapées, soins de santé, prestations de retraite, …). Ceci va augmenter le nombre de personnes décrites comme en dépendance alors que la dépendance elle-même est stable. Les indicateurs objectifs risquent donc de mesurer plus l'évolution de la couverture sociale des incapacités de citoyens que l'incapacité proprement dite.
  • La difficulté de mesure de l'espérance de vie en bonne santé est déjà importante lorsqu'il s'agit de comparer une évolution dans un pays d'une année à l'autre. Elle est encore bien plus importante lorsqu'il s'agit de comparer l'évolution au niveau international étant donné notamment les différences de perception sociologiques, linguistiques, éthiques et les évolutions différenciées des législations et des pratiques relatives à la protection sociale et au traitement des personnes selon leur état de santé.

Ce sont tous ces éléments qui expliquent vraisemblablement que, alors que les courbes mesurées de l'espérance de vie sont globalement régulières depuis des décennies avec une tendance en Europe à une augmentation d'environ trois mois par année pour les hommes et d'un peu plus de deux mois par année pour les femmes, les courbes mesurées de l'évolution de l'espérance de vie en bonne santé montrent des variations erratiques.

Voici des exemples frappants tirés de la consultation des statistiques officielles Eurostat relatives à l'espérance de vie en bonne santé des femmes:
  • Au Danemark, l'espérance de vie en bonne santé est censée être passée de 67,7 ans en 2007 à 61 ans en 2008.
  • A l'inverse de ce "cataclysme ignoré", à Chypre c’est un "miracle ignoré" qui est supposé s'être produit avec un passage de 58,3 ans de vie en bonne santé en 2005 à 63,3 en 2006.
  • En 2010, l'espérance de vie des femmes en bonne santé est supposée être de 57,8 ans en Finlande, soit en baisse de 0,5 année par rapport à 2009 alors que dans un pays voisin, la Suède, elle est supposée être de 71 ans, soit en hausse de 1,4 an par rapport à 2009. Ceci alors que la différence d'espérance de vie entre les deux pays est, elle, d’à peine un an, que les deux pays sont proches culturellement, sociologiquement et en termes de santé publique et que l’espérance de vie "pure" croit dans les deux Etats.

Dernier aspect et non des moindres: il y a, dans de nombreux mouvements politiques et sociaux, un souhait de relever d’abord les mauvaises nouvelles. Les chercheurs qui mesurent l’espérance de vie en bonne santé font un travail complexe et s’efforcent de diminuer les biais. Mais les évolutions à la baisse des indicateurs de vie en bonne santé seront rapidement remarquées par les médias surtout si elles sont spectaculaires. Les évolutions à la hausse, elles, seront le plus souvent ignorées même si elles sont importantes. Ainsi, la presse française s'est fait récemment l'écho de statistiques selon lesquelles l'espérance de vie en bonne santé aurait diminué de 6 mois par année environ entre 2008 et 2010 alors que l'espérance de vie pure elle aurait augmenté de 6 mois. Il est peu réaliste d'imaginer une dégradation considérable et rapide de la santé en France sans conséquences sur le taux de mortalité.

Les sérieuses difficultés de mesure de la durée de vie en bonne santé sont, malheureusement, assez rarement relevées dans la presse et même dans les documents spécialisés. C'est d'autant plus regrettable que, dans le cadre de l'Année européenne 2012 du vieillissement actif, l'Union européenne a notamment fixé un objectif d'augmenter la durée de vie en bonne santé des citoyens européens de deux ans d'ici 2020 sans entamer de réflexion approfondie au sujet de cette notion.

Tout ceci ne signifie pas que les indicateurs de vie en en bonne santé sont à rejeter mais, au contraire, qu'il est nécessaire d'avoir des indicateurs plus fiables et plus comparables et que les données actuelles sont à interpréter avec circonspection. Le travail accompli par les chercheurs doit être poursuivi et amplifié.

De manière relativement surprenante, la perception subjective de l'état de santé est un élément assez fiable et assez stable pour la mesure de l'évolution réelle de la santé. Mais  à deux conditions très importantes et souvent non respectées: les questions et la composition du panel de citoyens répondant aux questions doivent être identiques.

Pour les indicateurs physiques de santé, il est important entre autres de suivre précisément l'évolution de cette forme de malnutrition grave qu'est la suralimentation provoquant l'obésité ainsi que les tendances des taux de cancers et de maladies neurodégénératives. Dans ces deux derniers domaines, la croissance de l'espérance de vie et les progrès médicaux ont certainement conduit au prolongement de la vie de nombreuses personnes. Pour ce qui est des cancers, la survie ne signifie pas nécessairement une vie en mauvaise santé et les progrès médicaux améliorent souvent la qualité de la vie et pas seulement sa "quantité". Par contre, malheureusement, pour l'immense majorité des personnes atteintes de maladies neurodégénératives (sauf dans les premiers stades des maladies), la survie ne permet pas un retour à une vie de qualité.

C'est d'ailleurs probablement pour les femmes et les hommes âgés atteints de maladies neurodégénératives que les progrès médicaux dans le domaine des cellules souches, des thérapies géniques et peut-être même des nanotechnologies ouvriront la voie aux progrès les plus spectaculaires. Mais ces progrès ne se feront pas sans investissements, tant financiers qu’humains, extrêmement importants. L'objectivité oblige à écrire que ce n'est malheureusement pas dans ces domaines que les progrès sont les plus à portée de main.



La (trop ?) bonne nouvelle du mois: effet de "fullerènes" sur la longévité, une expérience prometteuse, mais aux résultats à vérifier.



Selon une étude effectuée en France sous la direction du chercheur Fathi Moussa, des rats ayant reçu une injection de molécules appelées buckminsterfullerène diluées dans de l'huile verraient leur espérance de vie presque doublée. Ces résultats très spectaculaires seraient dus notamment aux propriétés antioxydantes des substances concernées. Il apparaît cependant à plusieurs autres chercheurs que les résultats des tests sont peu crédibles étant donné notamment des erreurs et aussi l’ampleur des effets positifs. Il sera certainement très intéressant que d’autres équipes scientifiques effectuent des nouvelles expérimentations similaires.



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