mercredi 21 décembre 2011

La mort de la mort. Numéro 32. Novembre 2011.

Les études sur le vieillissement n’ont jamais été aussi dynamiques. On sait déjà multiplier par quinze l’espérance de vie d’un ver. Quelles perspectives pour l’homme? Le Monde, samedi 12 novembre 2011, supplément sciences et techniques.



Thème du mois : perception des progrès technologiques par les citoyens

Ce n'est pas du jour au lendemain que cette affection incurable qu'est le vieillissement humain se transformera en une maladie seulement mortelle si elle n'est pas soignée. Même si les progrès scientifiques continuent sans faiblir, des millions d'heures de recherche, des milliards d'euros d'investissement et des années de travail seront nécessaires.

Mais dans la perception des citoyens et même des spécialistes, certaines étapes médicales frappent plus les esprits que d'autres.

Il en alla ainsi, en décembre 1967, de la première transplantation cardiaque. C'était aussi le cas il y a déjà plus d'une décennie, du déchiffrement complet de l'ADN. Il pourrait en être ainsi de la découverte - encore à confirmer cependant - par Jean-Marc Lemaitre et son équipe de l'Institut français de génomique fonctionnelle sur la "reprogrammation" de cellules de centenaires (voir aussi ci-dessous, la bonne nouvelle du mois).

Souvent, le changement de perception est cependant progressif. Petit à petit, les témoins de l'histoire que nous sommes tous en viendront à considérer ce qui pour eux était impossible comme un progrès scientifique possible à long terme.

Pour les citoyens européens ou américains qui ont plus de 50 ans, la première fois qu'ils ont lu que nous pourrions un jour téléphoner par un appareil dans notre poche, ils ont pensé à un transmetteur de science-fiction imaginé par les créateurs de Star Trek ou encore à un appareil tellement sophistique qu'il resterait accessible seulement à quelques milliardaires. Les plus imaginatifs se sont demandés si un tel réseau nouveau ne menacerait pas les droits des citoyens à la vie privée. Mais aucun n'a envisagé qu'ils auraient en moins de 20 ans pour un prix inférieur à un mois de salaire minimum un téléphone / montre / réveil matin / calculatrice / journal / télévision / ordinateur surpuissant capable de traduire du chinois vers le japonais un plan de la ville indiquant son positionnement précis.

Alors que le "téléphone intelligent" ne coûte plus que quelques centimes par heure en terme de communication, les mêmes citoyens, lorsqu'ils doivent attendre quelques minutes pour un accès à Wikipédia seront nombreux à se plaindre d'une atteinte à leurs droits à l'information. Même les craintes affirmées de certains environnementalistes par rapport aux ondes nocives n'empêchent pas l'immense majorité des concernés d'utiliser un téléphone mobile. Chez beaucoup, il y a plus une posture intellectuelle de prudence vis-à-vis du changement qu'une réelle conviction. De gauche à droite, du nord au sud, presque tout le monde utilise un portable.

Toute avancée technologique n'est cependant pas une avancée socialement souhaitable. Ainsi, dans le domaine militaire, les développements d'armes nucléaires miniaturisées, de drones (avions sans pilote) de plus en plus autonomes et performants et de logiciels d'intelligence artificielle capables de décider la mise à mort "d'adversaires" ne seront - heureusement - considérés par l'opinion publique au mieux que comme un mal nécessaire.

Mais pour les questions de longévité, il y a une autre attitude. Pour certains, il ne s'agit plus d'empêcher des adversaires de profiter mais d'interdire à des compatriotes de vivre plus longtemps "pour leur bien" parce que c'est "contre la nature", parce qu'ils s’ennuieraient,

Cette attitude de souhait de la mort de vieillissement est causée par de multiples éléments qui ne seront pas développés ici. Mais une raison fondamentale simple peut être synthétisée en une phrase : Tant que la mort de vieillissement est inévitable, la manière la plus efficace de ne plus la percevoir comme insoutenable, c'est de l'affirmer souhaitable".

Il y a moins de deux siècles, lorsque les enfants mouraient en masse en bas âge et que la vaccination fut inventée, des scientifiques s'opposèrent car la mort des enfants était naturelle et qu'il ne convenait pas de s'y opposer.

Aujourd'hui l'opinion publique considérerait très probablement comme criminelle une autorité réclamant le retour à une mortalité infantile de 30 %, même si c'était, par exemple au nom de la limitation de la population.

Après-demain, si les progrès médicaux se poursuivent, si des thérapies permettent de vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé, l'opinion publique pourrait percevoir une attitude d'opposition avec, non pas de l'étonnement, mais bien de l'indignation. Les déclarations de quelques dirigeants religieux ou adeptes du "bon vieux temps" qui réclameront que les personnes âgées continuent à souffrir pourraient être considérées comme une remise en cause du droit le plus fondamental d'un être conscient : le droit à la vie. Vouloir que les personnes âgées souffrent de la maladie d'Alzheimer, d'ostéoporose, se dégradent progressivement allant péniblement, comme chantait Jacques Brel, "Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit" pourrait devenir une sorte d'appel à mauvais traitement. L'objectif civique adéquat ne serait plus de s'opposer à une vie en bonne santé beaucoup plus longue mais bien de veiller à l'accessibilité à tous.

Un des principaux moteur du changement d'attitude vis-à-vis d'une évolution est donc la perception de son accessibilité. Aller sur la lune n'est pas devenu technologiquement plus aisé lorsque Kennedy a déclaré le 12 septembre 1962 que l'objectif serait atteint mais c'était devenu psychologiquement plus réalisable (et ce fut réalisé le 20 juillet 1969).

Bien sûr, le plus important est la poursuite de recherches qui permettront à ceux qui le souhaitent de vivre beaucoup plus longtemps. Les progrès dans ce sens sont multiples et polymorphes. Mais pour que le droit à la vie des personnes avançant en âge soit demain plus un droit fondamental de l'homme qu'aujourd'hui, il faut également informer l'opinion publique des progressions médicales.


La bonne nouvelle du mois: des cellules de centenaires deviennent pluripotentes

Le professeur Lemaitre et son équipe seraient parvenus à transformer des cellules de patients âgées en cellules-souches, c'est-à-dire en cellules susceptibles de se reproduire sans limitation et potentiellement de produire des organes et tissus de toutes les parties du corps. Le patient le plus âgé dont les cellules ont été "régénérées" avait plus de 100 ans.

Le résultat aurait été obtenu en injectant dans les cellules de ces personnes âgées un "cocktail" de six gènes. En conséquence, les cellules n'auraient plus de marqueurs visibles de vieillissement.

L'article intégral relatif à cette expérience n'est pas encore disponible en ligne de manière publique.


• Pour en savoir plus de manière générale: http://sens.org/, http://imminst.org/,
http://heales.org/ et http://immortalite.org/
• L'étude du professeur Lemaitre est intitulée Rejuvenating senescent and centenarian human cells by reprogramming through the pluripotent state. Elle sera accessible à partir de la page http://genesdev.cshlp.org/content/future/25/21. Voir aussi notamment un article de vulgarisation émettant certains doutes: http://www.journaldelascience.fr/biologie/articles/des-chercheurs-auraient-reussi-rajeunir-des-cellules-de-centenaires-2375.
• Pour réagir ou recevoir la lettre d'information: info@heales.org
• Source de l'image: http://www.flickr.com/photos/saroy/3738716341/sizes/m/in/photostream/

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