A long terme, nous serons tous vivants. (...) Les innombrables découvertes, inventions et innovations technologiques qui sont "dans le pipeline" à venir, si elles sont utilisées judicieusement, peuvent changer le monde spectaculairement et pour le bien. Il suffit de penser aux conséquences positives qui pourraient résulter de l'application de la génétique, la transgénèse, les organismes génétiquement modifiés, la médecine sur les cellules souches, la découverte de nouveaux médicaments, l'augmentation de l'espérance de vie, les fabuleuses - dans le sens originel du légendaire - possibilités découlant de la recherche. Mark Eyskens, ancien premier ministre belge, 2013 (traduit de l'anglais).
Thème du
mois: Vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé, ce n'est pas vieillir
plus longtemps
Peu importe la longueur de l'explication, peu importe que la bonne santé
soit explicitement ou implicitement citée, peu importe que des spécialistes
expliquent bien ou mal combien l'état de santé des personnes âgées s'améliore
avec le temps, à chaque exposé en faveur de progrès pour une vie plus longue,
quelqu'un demandera toujours "Pourquoi vivre plus longtemps, si c'est pour
se dégrader?".
La croyance qu'une vie plus longue doit être accompagnée de dégradation
est ancienne. Tithon était un prince troyen mythique à qui Zeus avait donné la
vie éternelle, mais en omettant de lui donner la jeunesse éternelle. Les
anglophones qui défendent les progrès médicaux permettant de vivre plus
longtemps parlent parfois de "Tithonius error", pour désigner la
croyance selon laquelle la médecine et les progrès techniques ne permettent de
gagner que des années de vie en mauvaise santé. Cette idée est également
souvent présente dans la science-fiction et la littérature fantastique. Enfin,
elle se retrouve fréquemment implicitement en filigrane de déclarations de
responsables politiques ou économiques parlant du "problème de la société
vieillissante" plutôt que des perspectives positives d'une population
avançant en âge.
Ainsi, la
question "Pourquoi vivre plus longtemps" est trop souvent perçue
comme "Pourquoi se dégrader plus longtemps". Les citoyens sont
convaincus qu'une vie plus longue ne signifie qu'une souffrance plus longue, un
peu comme si une justice divine devait compenser les progrès de la longévité
par des régressions de bien-être.
Bien sûr, une
des raisons de ces croyances est que les gens extrêmement âgés que nous voyons
sont toujours des personnes à l'état de sénescence, de dégradation avancée.
Jamais jusqu'ici, avancée en âge et dégradation progressive n'ont été
entièrement dissociés chez l'être humain. Lorsqu'une personne atteint le
siècle, c'est donc actuellement malheureusement toujours dans un état de santé
fragile. Il nous est très difficile d'imaginer que cela changera.
Très souvent,
le concept de la jeunesse et de la vieillesse courte et naturelle s'opposé à
celui d'une vie plus artificielle et moins agréable. Il arrive trop souvent que
les acteurs médicaux visent la guérison voire le maintien en vie en se
préoccupant peu de la qualité de vie des patients. Cela peut être parce que le
praticien ne s'estime compétent que pour les actes médicaux ou pire par
indifférence.
Mais la
médecine -et la majorité des praticiens de "l'art de guérir" a de
tout temps eu parmi ses objectifs essentiels, le désir de prolonger une
vie aussi longue que possible et également en aussi bonne santé que possible.
Et ceci s'est
passé avec succès sur le long terme. L'allongement de la durée de vie pour les
personnes âgées ces dernières décennies, ce n'est pas seulement ajouter des
années à la vie, c'est aussi ajouter de la vie aux années. Pour prendre
quelques exemples:
- Dans un passé relativement récent, il y a
moins de 50 ans, la vieillesse était symbolisée par la canne du vieillard
et le corps courbé des hommes et des femmes âgées. C'était la suite de
maladies et dégradations fortement invalidantes de moins en moins
présentes. Aujourd'hui, l'utilisation d'une canne est beaucoup plus rare
et concerne des personnes plus âgées et il devient rare de croiser
des personnes âgées sévèrement bossues, courbées par le poids des ans.
- Le concept de bonne santé est un concept
évolutif. Aujourd'hui, les citoyens et les personnels de santé soigneront
plus rapidement et mieux que par le passé. La "vieille tante qui
radote" du milieu du siècle passé serait aujourd'hui considérée comme
une dame âgée atteinte d'un Alzheimer relativement avancé. Hier, elle
aurait eu droit, au pire qu'au mépris et au mieux à l'aide de sa famille,
aujourd'hui, des soins sont prodigués.
- Contrairement à ce que l'on pense souvent, l'athérosclérose
tend à diminuer progressivement pour des populations d'âge égal.
- De manière globale, selon une étude publiée en
2012 par le plus prestigieux journal médical "The Lancet", durant
les deux décennies écoulées de 1990 à 2010, l'espérance de vie a cru de
4,7 années pour les hommes et de 5,1 année pour les femmes. Les 3/4
environ de ces années, soit 3,9 années pour les hommes et 4,1 années pour
les femmes sont des années de vie en bonne santé. Une autre étude effectuée
à Harvard est encore plus optimiste car elle estime que, à
l'exception de l'année ou des deux années précédant le décès, les citoyens
sont en meilleure santé qu'auparavant.
Bref, en 2014,
nous vivons beaucoup plus longtemps que jamais dans l'histoire de l'humanité et
la durée de notre vie en bonne santé est également plus longue que jamais dans
l'histoire de l'humanité.
Mais la
question la plus cruciale posée concerne le futur. Les progrès envisagés
visent-ils une vie uniquement plus longue ou aussi de meilleure qualité? Il
s'agit de cellules -souches qui pourraient un jour régénérer des tissus ou des
organes humains, de produits assurant une fluidité accrue du sang et diminuant
le risques de maladies cardio-vasculaires, de capteurs chargés d'avertir de la
naissance possible de maladies et ainsi de prévenir ces affections, de
thérapies géniques empêchant le développement de maladies héréditaires, de
nanotechnologies médicales visant à prévenir et guérir des maladies
invalidantes,... Est-ce que toutes ces méthodes auront pour but et pour effet
une dégradation plus longue ou une vie de meilleure qualité et plus longue, la
réponse ne fait en fait aucun doute dans l'esprit des chercheurs.
Il est
cependant un domaine dans lequel réellement, durant ces dernières décennies et
pour la perspective à court terme, l'allongement de la durée de vie ne
s'accompagne que peu d'une amélioration de la qualité de la vie. Il s'agit des
maladies neuro-dégénératives et particulièrement de la maladie d'Alzheimer.
Aujourd'hui par rapport à hier, ces maladies font l'objet de meilleurs
accompagnements, surviennent probablement un peu plus tard, sont de mieux en
mieux connues des médecins, des psychologues, des membres de la famille et de
tous ceux qui soignent et accompagnent.
Mais les véritables percées dans le domaine de la lutte contre ces
maladies et même simplement dans un ralentissement important restent encore à accomplir.
C'est donc dans ce domaine que les recherches sont le plus nécessaires. Ces
recherches seront coûteuses mais elles sont potentiellement utiles, non pas
seulement à "nos vieux à nous", mais à tous. Cette utilité
potentielle va de la très vieille femme kényane sénile et sans famille qui n'aura
jamais les moyens se payer un aide-soignant à l'octogénaire milliardaire
new-yorkais bien entouré, mais qui risque fort de néanmoins mourir dans une
forme de déchéance que nous ne souhaiterions pas à notre pire ennemi.
Bonne nouvelle du mois: Craig Venter crée la société Human Longevity Incorporated
Craig Venter,
qui fut l'acteur principal du premier séquençage humain en l'an 2000 vient
d'annoncer la création de la société Human Longevity, Inc. Cette société
au capital de départ de 70 millions de dollars a pour objectif ambitieux
de comprendre les mécanismes de longévité.
Ceci passera
par des recherches systématiques d'ADN humain en vue de détecter ceux utiles à
la longévité. La société séquencera le génome de centenaires et examinera l'ADN
du "microbiome" humain, c'est-à-dire l'ADN des êtres vivants qui se
trouvent dans notre corps (bactéries et autres microorganismes).
Après la
création par les dirigeants de Google de la société Calico, c'est un second pas
important dans les recherches pour une longévité humaine fondamentalement
augmentée.
Pour en savoir plus
- De manière générale, voir notamment:
http://heales.org, http://sens.org et http://longecity.org - Citation
de Mark Eyskens:
- http://www.eyskens.com/page103/page132/page134/page136/page136.html
- Site de Human
Longevity Inc.: http://www.humanlongevity.com
- Enquête
du Lancet "Global Burden of disease": http://www.thelancet.com/themed/global-burden-of-disease
- Enquête
de Harvard à propos de l'amélioration de l'état de santé: http://www.natureworldnews.com/articles/3227/20130730/people-living-longer-healthier-harvard-researcher.htm
- Source
de l'illustration: Logo de la société Human Longevity Inc.