Je fais partie de ceux
qui ne regrettent pas leur jeunesse (je l'ai vécue avec bonheur, mais je ne
voudrais pas recommencer depuis le début), car je me sens plus riche
aujourd'hui qu'autrefois. Or, songer que, à ma mort, toute cette expérience
sera perdue est pour moi une source de souffrance et de crainte. Même si je me
dis que mes descendants en sauront un jour autant que moi, si ce n'est plus,
cela ne me console pas. Quel gâchis, des dizaines d'années à construire une
expérience et puis tout perdre! C'est comme brûler la bibliothèque
d'Alexandrie, détruire le Louvre, laisser s'enfoncer dans la mer, la très
belle, très riche et très savante Atlantide. Umberto Eco. La mort et l'immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances.
2004.
Longévité:
l'âge de ses artères?
Le sang qui coule dans nos artères constitue moins d'un dixième de la
masse corporelle. C'est un liquide constitué principalement de globules rouges,
de globules blancs, de plaquettes sanguines et de plasma qui circule
pratiquement partout dans notre organisme. Détient-il des secrets en matière de
rajeunissement?
Brève
histoire des usages culturels et thérapeutiques du sang
Dans la plupart des cultures, le sang a une signification spécifique. Il peut représenter la vie elle-même, être un symbole de la jeunesse ou au contraire faire l'objet d'interdits. Parfois dans les civilisations qui pratiquent la mise à mort d'animaux, il sera conservé à part après le sacrifice pour être consommé ou pour servir à des divinations. Pour la religion catholique, le vin de messe se transforme en sang (ceci est appelé "transsubstantiation"). Pour les religions musulmane et hébraïque par contre, l'animal doit être vidé de son sang avant d'être consommé.
Enfin, le
sang a été perçu comme un symbole inaliénable de la proximité héréditaire se
transmettant sans disparaitre de génération en génération. Ainsi l'expression
"frères de sang" sera utilisé pour des frères biologiques et le terme
"sang bleu" désignera les nobles. Le "mélange des sangs"
notamment chez certains peuples amérindiens se fera en faisant entrer en
contact le sang de deux individus.
A côté des
usages symboliques ou en complément de ceux-ci, le sang, a été perçu depuis
fort longtemps par certains comme un liquide permettant la régénération.
Les vampires,
créatures mythiques, se nourrissant du sang d'autres personnes, se retrouvent
dans de nombreuses cultures, même si le terme de "vampire" pour
désigner ces êtres, ne date que du 18ème siècle.
Etant donné
que les battements du cœur et la circulation du sang sont, après la
respiration, les signes les plus tangibles de la survie d'un être humain
inconscient, il est logique que les premières tentatives de transfert de sang
vers une personne malade aient été très anciennes. Une des premières tentatives
eut probablement lieu en 1492. Le pape Innocent VIII aurait bu le sang de trois
jeunes enfants de 10 ans. Ni les enfants, ni le pape ne survécurent. Les
premières transfusions avec un taux de réussite raisonnable n'auront lieu qu'au
cours de la première guerre mondiale, lorsque les groupes sanguins seront
connus.
Mais le suc
de la vie a aussi été perçu depuis des temps très lointains comme pouvant être
trop abondant. Pendant deux millénaires, l'extraction du sang a été considérée
comme une pratique thérapeutique majeure. Les mésopotamiens, les égyptiens, les
grecs anciens, les romains, les médecins du moyen-âge et même les médecins de
la Renaissance étaient convaincus que l’équilibre du métabolisme humain pouvait
être amélioré en retirant une partie du fluide indispensable à la vie. La
saignée, et également au 19ème siècle les sangsues absorbant du sang, ont été
utilisés pour soigner d'innombrables maladies et même dans un but prophylactique.
La pratique ne sera progressivement abandonnée qu'au cours du 19ème siècle et
même aujourd'hui certains praticiens de médecines dites
"traditionnelles" ou "naturelles" l'utilisent encore.
Il est
fascinant de constater que cette branche majeure de la médecine a traversé
autant de cultures différentes. Ceci alors que, sauf cas très particuliers de
certaines maladies du sang et d'hypertension, la santé des patients ne s'en
trouvait aucunement améliorée et alors que, bien sûr, les risques
d'affaiblissement et d'infection étaient considérables. Il a fallu attendre la
vérification statistique de l'inefficacité pour que la thérapie faiblisse
enfin. Ceci rappelle, s'il en est besoin, combien les thérapies perçues à un
moment donné de toute bonne foi comme naturelles, immémoriales et établie par
des praticiens reconnus, peuvent être dangereuses, en l'absence de vérification
expérimentale.
Thérapies et
réjuvénations envisageables aujourd'hui
Depuis
environ un siècle, la transfusion sanguine est maîtrisée. Il est utile de
constater que, à l'exception de témoins de Jéhovah, très peu de citoyens sont
réticents aux transfusions pour des raisons éthiques, alors même qu'il s'agit
d'une approche thérapeutique profondément invasive, puisque presque chaque
cellule de notre corps finira par être irriguée par ce corps étranger.
Actuellement,
les transfusions sanguines entre personnes (ou la transfusion dite
"autologue", c'est-à-dire la transfusion par une personne de son
propre sang qui a été "stocké" en un lieu) ne sont en principe
effectuées que pour pallier à des manques physiologiques dans le cadre
d'affections. La seule exception non anecdotique est l'utilisation de sang pour
améliorer des performances sportives, mais cette pratique est illégale en
compétition.
Le sang pourrait-il
un jour être utilisé spécifiquement dans le but d'allonger la durée de vie des
femmes et des hommes n'ayant pas une affection déterminée? Etant donné son
ubiquité, c'est une évolution imaginable en modifiant les cellules et
substances qui le composent.
Durant ces
derniers mois, deux découvertes scientifiques intéressantes liées au système
sanguin et à la longévité ont été décrits.
Hendrikje van
Andel-Schipper, une citoyenne néerlandaise décédée en 2005 à l'âge de 115 ans a
été la personne la plus âgée au monde à avoir donné son corps à la science. Les
recherches permises grâce à l'examen de son organisme se sont achevées
récemment. A son décès, il semble que toutes les cellules de son sang ne
provenaient plus que de deux cellules-souches alors qu'un organisme normal en
possède beaucoup plus. La presse a relaté que cette personne était encore en
bonne santé mais est décédée principalement parce que les cellules de son sang
ne pouvaient plus se régénérer. En voyant des photos de la personne, on s'aperçoit
cependant tout de suite que l'expression "bonne santé" est à prendre
de manière très relative, par comparaison avec d'autres personnes très âgées.
Des
chercheurs de Harvard considèrent que le sang de jeunes souris pourrait
améliorer l'état de santé ou en tout cas les indicateurs métaboliques de souris
âgées. Dans une expérience menée en Grande-Bretagne, des souris âgées se sont
vues transférer le sang de souris jeunes en établissant une circulation commune
par paire (une souris jeune, une souris âgée). Après quelque temps, il a été
constaté que le métabolisme des souris âgées s'était amélioré. Selon les
chercheurs, des thérapies similaires pourraient être un jour envisagées
chez des êtres humains, par le biais de transfusions. Cela ouvrirait notamment
des pistes en ce qui concerne la cognition des personnes atteintes d'Alzheimer.
Il faut cependant remarquer:
- que cela
supposerait de nombreux progrès médicaux pour la production de sang humain
- que les
tests sur les souris n'ont pas porté sur l'espérance de vie proprement dite des
souris, mais uniquement sur les indicateurs métaboliques peu après la
transfusion.
Il serait cependant
assez logique, notamment compte tenu des éléments cités, de penser que des
thérapies basées sur des transfusions aient un avenir, non seulement pour
lutter contre des maladies ou des manques, mais également pour allonger la
durée de vie. Dans une vue plus prospective et à plus long terme, il est aussi
possible d'imaginer qu'un jour le sang transfusé soit un liquide dans lequel
des nanorobots seront introduits et se répandront dans la quasi-totalité de
l'organisme pour agir là où ils sont nécessaires. En ce qui concerne les
maladies neuro-dégénératives, ces minuscules appareils seraient amenés par le
sang jusqu'à la barrière hémato-encéphalique qu'ils pourraient franchir
ensuite, grâce à leur petite taille, comme les nutriments et substances amenés
par le sang le font déjà.
Bonne nouvelle du mois: Les
statistiques de l'OMS démontrent que l'espérance de vie continue à progresser
presque partout dans le monde.
N'en déplaise aux
pessimistes, malgré les pollutions, l'obésité et le développement de certaines
affections, au Nord comme au Sud, à l'est comme à l'ouest, l'espérance de vie
continue à progresser. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de
publier des statistiques mondiales portant sur la période 1990 - 2012.
Du citoyen du Libéria
qui a gagné 20 ans d'espérance de vie, mais pour espérer vivre seulement 62 ans,
à la femme japonaise dont la durée de vie moyenne est désormais de 87 ans,
environ 4 ans de plus qu'en 1990, les progrès sont bien plus rapides que ce que
la majorité des citoyens pensent, même s'ils sont bien inférieurs à ce qui
serait possible si la recherche pour une vie en bonne santé beaucoup plus longue
devenait une priorité majeure.
Pour en savoir plus
- De manière générale, voir notamment:
http://heales.org, http://sens.org et http://longecity.org - A propos
des saignées (en anglais):
http://en.wikipedia.org/wiki/Bloodletting - Pour ce qui concerne le rapport de l'OMS: http://www.who.int/gho/publications/world_health_statistics/EN_WHS2014_Part2.pdf?ua=1
- Source de l'image:
drapeau de l'Organisation Mondiale de la Santé
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