Si vous pouviez prendre un homme, le
disséquer d'une telle manière que vous
puissiez équilibrer ses natures (qualités) et ensuite le ramener à la vie, il
ne serait plus sujet à la mort.
Jabir ibn Hayyan, alchimiste musulman
(connu comme Geber en France 721-815)
Thème du mois: Longévité et religions
Nous autres civilisations, nous savons désormais que nous sommes
mortelles, écrivait Valéry il y a un peu moins d'un siècle au lendemain de la
première guerre mondiale.
Les religions meurent aussi, l'une après l'autre, au crépuscule des
cultures qui les ont portées. Elles meurent dans le sang et les larmes ou
parfois dans le silence de l'oubli des derniers pratiquants épisodiques devenus
agnostiques ou conquis par d'autres idées religieuses.
Chronos, Dieu grec du temps, ne dévore plus ses enfants depuis 25
siècles. Thot, divinité égyptienne, seigneur du temps, ne joue plus aux dés
contre Nout depuis plus de 3 millénaires.
Souvent, les religions nous annoncent la fin des temps alors qu'elles
sont incapables d'annoncer leur propre mort. Le calendrier Tzolk'in ne rythme
plus les journées des dieux mayas depuis bien longtemps. Il avait bien permis à
quelques-uns de se faire peur en 2012, mais certainement pas de faire revivre
les panthéons mayas, aztèques ou incas.
Pour les trois religions du livre, ainsi que pour la majorité des autres courants de pensée religieux contemporains, notamment l'hindouisme et le bouddhisme, un aspect fondamental est l'affirmation que la mort biologique d'un être humain, n'est pas la fin de tout: la conscience subsistera.
Les promesses d'une existence après la mort sont un élément essentiel de
(presque) toutes les religions. Consciemment ou inconsciemment, la quête de
spiritualité ‑ et ce qui nous fait aimer et respecter les religions ‑ c'est
notamment la promesse d'être conscients aujourd'hui et à travers le torrent des
siècles.
Pour (presque) toutes les religions contemporaines, ce sont toutes les femmes
et les hommes qui ont cette possibilité, même si le sort des uns est plus
enviable que celui des autres, même si donc le paradis est plus souhaitable que
l'enfer.
L'universalité de la vie après la mort n'a pas toujours été présente
dans tous les cultes. Par exemple, dans l'Egypte ancienne, l'accès à l'au-delà des
croyants osiriens exigeait des conditions strictes. Dans la religion aztèque, la
mise à mort de femmes ou d'hommes par sacrifice était même nécessaire pour
permettre la course du soleil.
Les religions ont d'innombrables manières d'envisager la longévité après
la mort biologique, mais elles s'inscrivent toujours dans trois grands
ensembles d'explications:
- La résurrection. Un jour, l'être humain renaitra sur la base de ce qu'il était avant son décès. Le corps sera donc reconstitué, presque à l'identique.
- L'âme. L'enveloppe charnelle disparait, mais la conscience (l'âme, l'esprit, ...) subsiste et peut poursuivre une existence. Cette existence est généralement non perceptible aux humains vivant sur terre, sauf de manière diffuse.
- La réincarnation (métempsychose). La conscience migre vers un autre corps, que cela soit un être humain ou un autre être vivant ou même un objet inanimé.
Il faut remarquer qu'une religion peut combiner plusieurs explications
avec des accents divers. Ainsi, la religion catholique a longtemps mis l'accent
principalement sur la résurrection, mais le concept d'âme était également fort
présent. Aujourd'hui, c'est le maintien de l'âme qui est plus mis en avant, la
résurrection étant moins abordée.
Les grandes religions contemporaines sont apparues il y a de nombreux
siècles. Elles se sont adaptées aux connaissances scientifiques et ont converti
bien des affirmations en métaphores. Lorsqu'un croyant de religion musulmane, juive
ou catholique parle du ciel, de l'enfer, du paradis à des personnes, il est
rare que ce soit aujourd'hui perçu comme une référence à un lieu physique. Il
s'agit plutôt d'une autre dimension ou d'un concept inconnaissable. Pour les
hindouistes et les bouddhistes, le concept de "transfert" de l'âme
est central, mais les informations précises sur ce qui est transféré se font de
plus en plus rares.
Un point commun des conceptions des religions du livre est que le
vieillissement n'existe plus au-delà de la mort biologique. L'existence dans
l'au-delà se poursuivra sans plus aucun processus de sénescence.
Mais les religions ne s'intéressent pas à la santé des femmes et des
hommes uniquement dans l'au-delà, elles s'y intéressent également en ce monde. En
effet, pour l'immense majorité des croyants, même si la vie ici est supposée
courte et la vie au-delà est supposée éternelle, la vie sur terre est ce qui
occupe le plus les esprits. Et c'est encore beaucoup plus le cas en ce début de
21ème siècle. C'est beaucoup plus le cas en effet dans un monde où la vie "terrestre"
est de plus en plus longue et agréable et où la certitude de la vie dans
l'au-delà fait l'objet d'interrogations de plus en plus nombreuses, même de la
part des croyants.
Dans ce cadre, les religions considèrent de plus en plus positivement le
fait de conserver et d'améliorer la santé. Il n'y a généralement pas
d'opposition forte aux techniques médicales. Dans certains cas (de plus en plus
exceptionnels), les représentants religieux affirment même que la puissance
divine intervient pour favoriser la santé par des miracles.
Lors de progrès médicaux considérables, certains croyants, certains
experts religieux s'interrogent sur la légitimité d'avancées où l'homme serait
atteint de démesure, ferait "concurrence" à Dieu. Ces interrogations
disparaissent généralement une fois que le progrès médical est intégré. Ainsi,
un catholique (juif, musulman,...) pratiquant du 18ème siècle aurait
probablement été horrifié par les transgressions que représentent les
transfusions, les greffes d'organes, l'anesthésie générale, tout comme son
frère contemporain pourra être effrayé par l'idée que des nanorobots médicaux navigant
dans son corps lui permettront peut-être un jour de vivre beaucoup plus
longtemps en bonne santé.
D'innombrables lettrés musulmans, chrétiens et juifs ont écrit des
textes et traités médicaux par le passé afin de permettre d'améliorer la santé de
leurs frères humains. Ils continueront très probablement à le faire dans le
futur parfois avec un peu de retard sur les plus avancés de leurs contemporains
mais très souvent avec un sens développé de la compassion.
Les bonnes nouvelles du mois : des progrès dans la recherche relative
aux maladies neuro-dégénératives
Des
chercheurs de l'Université de Stanford ont établi qu'une protéine appelée EP2,
a pour conséquence, chez des souris âgées que certaines cellules du cerveau
(les cellules microgliales) cessent de fonctionner efficacement, suite à un
mécanisme similaire à la maladie d'Alzheimer. Ils ont également constaté qu'un médicament donné, interrompait l'effet
de cette protéine et améliorait les performances cognitives de ces souris.
Catherine Verfaillie et Philip Van Damme, biologistes moléculaires de
l'Université catholique flamande de Louvain (KUL) ont réalisé une expérience de
laboratoire dans laquelle des cellules de patients atteints d'une forme de
démence ont pu être "guéries". Il s'agit de patients atteints de
démence fronto-temporale dont des cellules de la peau ont été transformées en
cellules-souches, puis en cellules neuronales. Ces cellules ont ensuite pu être
guéries, soit par manipulation génétique, soit par l'injonction d'un
"cocktail" de molécules.
Ces expériences sont prometteuses, mais cependant, comme toujours
jusqu'ici dans le cadre des maladies neuro-dégénératives, nous sommes encore
très loin d'une thérapie et il faudra d'abord confirmer les résultats obtenus.
Pour en
savoir plus:
- De manière générale, voir notamment:
heales.org, sens.org et longecity.org - A propos
de longévité et des religions. Voir notamment: La mort et l'immortalité :
Encyclopédie des savoirs et des croyances. 2004. 1685 pages.
- Une
lettre précédente en 2010 avait été consacrée à la religion catholique: utopianchronicles.blogspot.be/2010/05/la-mort-de-la-mort-numero-14-avril-2010.html
- A propos
des recherches relatives à Alzheimer
www.cell.com/stem-cell-reports/fulltext/S2213-6711(14)00358-0
(en anglais) med.stanford.edu/news/all-news/2014/12/blocking-receptor-in-brains-immune-cells-counters-alzheimers.html
(en anglais)
- Source de
l'image: en.wikipedia.org/wiki/Near-death_experience#mediaviewer/File:Hieronymus_Bosch_013.jpg
(Jérôme Bosch)