Toute personne a le droit (...) de participer aux progrès scientifiques et aux bienfaits
qui en découlent. Article 27 de la Déclaration universelle des
Droits de l'homme.
Depuis le 1er mai 2013, l'espérance de vie en
bonne santé a augmenté de près d'un trimestre dans le monde. La durée moyenne
de la vie des hommes et des femmes en Belgique est maintenant de 80 ans. Des
millions de citoyens de Belgique et du reste du monde qui seraient morts au
cours des douze derniers mois sans progrès de santé et croissance économique
coulent aujourd'hui des jours relativement paisibles.
Jusqu'à la première
moitié du siècle passé au moins, le désir de progrès technique et le désir
d'égalité sociale étaient liés. La gauche rêvait de lendemains qui chantent.
Ces lendemains étaient faits de plus d'égalité, de plus de biens et d'un monde
plus facile à vivre matériellement et technologiquement.
Aujourd'hui, malheureusement, les progressistes
ne rêvent plus guère de progrès technique, sauf dans une certaine mesure pour
les énergies renouvelables. C'est probablement dû notamment au traumatisme de
l'échec de l'Union soviétique qui se réclamait du communisme et du progrès
technique. Par ailleurs, le développement des pollutions et le réchauffement
climatique ont mené beaucoup de progressistes à vouloir "renverser la
vapeur" là où il fallait plutôt la purifier et donc orienter autrement. Il
y a enfin la peur que les progrès augmentent les inégalités.
Pourtant, contrairement à ce que beaucoup
pensent, l'accélération du bien-être est non pas moindre, mais plus grande dans
les pays du Sud. La mortalité infantile qui était une source majeure de décès
poursuit sa diminution. La pauvreté multidimensionnelle décroit rapidement.
Dans ce cadre de progrès humains globaux sans
équivalent dans l'histoire de l'humanité, le téléphone mobile est passé en
vingt ans du statut de bien de luxe à celui d'outil utilisé par la majorité des
citoyens du monde. Un milliard de smartphones ont été vendus en 2013. Bien
avant la fin de cette décennie, la majorité des citoyens devrait avoir accès à
des mobiles connectés à internet. Une part énorme des connaissances collectives
universelles sera accessible à une large majorité des habitants de la planète.
Ceci pourra se faire presque sans coût et sans discrimination, surtout si les
progressistes se mobilisent en faveur de progrès techniques pour tous.
Dans les développements à court et moyen terme,
les (techno)progressistes pourraient exiger que chaque citoyen ait droit à un
téléphone dit intelligent (avec des rayonnements faibles, mais avec des accès
forts à des services collectifs). Ils pourraient proposer que Google et
Wikipédia fonctionnent comme des services publics de plus en plus développés.
Enfin, ils pourraient réfléchir à l'impact des imprimantes 3 D en termes
d'accessibilité et de diffusion de biens.
Une gauche proactive
devrait exiger des investissements publics importants pour permettre à tous de
vieillir beaucoup moins. Aujourd'hui les différences entre espérances de vie au
Sud et au Nord s'amenuisent. Mais si les résultats des recherches pour une
meilleure santé et une vie plus longue ne sont pas publics, les progrès seront
probablement d'abord réservés aux plus aisés, seuls capables de s'offrir les
soins et de vivre là où la pollution et les particules fines sont moindres.
En 2014, les investissements publics en faveur
de la longévité sont limités alors que Google et d'autres sociétés placent des
sommes importantes et engagent des chercheurs renommés dans ce domaine. Cela
crée un risque de renforcement des inégalités.
A l'inverse, chaque
centime de financement public utilisé avec succès pour des progrès médicaux en
matière de lutte contre les maladies liées au vieillissement peut bénéficier un
jour à toute personne âgée. C'est donc l'investissement collectif le plus
solidaire imaginable actuellement, un bénéfice potentiel pour des milliards de
femmes et d'hommes sans distinction de
nationalité, d'origine, de capacité financière,...
Une gauche favorable aux progrès devrait donc exiger des
avancées technologiques collectives beaucoup plus rapides dans les domaines de
la recherche médicale.
Il est vrai que ces progressions gigantesques
ne résolvent pas (encore?) tous les problèmes de bien-être. Ceci s'explique
notamment parce que l'abondance est un instrument insuffisant pour permettre le
bonheur de tous. De plus, au-delà d'un certain niveau de confort matériel, la
perception du bien-être se fait presque exclusivement par comparaison avec le
niveau matériel des autres, lequel niveau progresse aussi. Il restera donc un
jour à la gauche (et pas qu'à elle) à découvrir comment augmenter le bonheur dans
une économie d'abondance où le lait et le miel couleront tellement à flot pour
tous que cela ne suffira plus à nous satisfaire.
Pourquoi encore la gauche doit-elle être
technoprogressiste? Pour développer l'égalité (radicale) du futur dans un monde
où le travail tel que nous le connaissons sera de moins en moins nécessaire.
Mais aussi parce que les progressions technologiques rapides comprennent des
risques immenses dans les développements contemporains (pollutions, effets de
serre, risques pour la vie privée, fracture numérique,...) mais également dans
les développements à moyen terme. Ces risques, beaucoup moins souvent abordés,
sont des risques existentiels liés à la maîtrise de plus en plus absolue de la
structure du vivant, de la matière et peut-être à terme au développement de
l'intelligence artificielle. Et le principe de précaution dans une société
évoluant, ce n'est pas toujours arrêter les modifications technologiques, cela
peut-être au contraire les accélérer pour sauver des vies et diminuer des
risques.
Pour que le progrès technique ait le plus de
chance d'être aussi un progrès tout court, pour que les lendemains
extraordinaires soient aussi des lendemains qui chantent, un des éléments
favorables est une gauche proactive, capable de faire primer paix, égalité,
justice et souci du bien commun sur les intérêts financiers et matériels à
court terme. Peu de politiques de gauche semblent l’avoir compris.
Il faut penser
globalement pour agir localement. Il faut aussi penser à long terme pour agir à
court terme. La question n'est plus de savoir si les progressions
technologiques vont permettre une vie beaucoup plus longue en bonne santé, mais
de réfléchir collectivement aux conséquences, de permettre à tous ceux qui le
souhaitent de vivre plus longtemps et de maîtriser les risques. La
science-fiction d'aujourd'hui, rêve ou cauchemar, voire plus probablement rêve
et cauchemar, ne sera pas seulement la réalité de nos enfants, c'est aussi la
nôtre.
- Livre technoprogressiste au sujet de la longévité: Et si on arrêtait de vieillir !: Réalité, enjeux et perspectives d'une vie en bonne santé beaucoup plus longue (éditions FYP) (pour l'acquérir)
- Informations quant aux progressions en matière d'espérance de vie: http://www.gapminder.org
- A propos de la pauvreté multidimensionnelle en diminution: http://www.ophi.org.uk/
- Ce texte est une version actualisée d'un texte distribué à la fête du 1er mai depuis 2009. Rendez-vous le 1er mai 2015 !
- Source de l'image : http://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2006-6-page-16.htm
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