Les dépenses en recherche et développement
contre la calvitie sont plus de 100 fois importantes que celles utilisées pour
guérir du vieillissement. Nous pourrions un jour nous retrouver avec une durée
de vie augmentée comme effet collatéral non souhaité d'une pilule destinée à
faire pousser abondamment nos cheveux (traduction). Aubrey de Grey,
biogérontologiste (à propos des dépenses spécifiquement destinées à lutter
contre le vieillissement, pas à propos de toutes les recherches médicales liées
au vieillissement).
Thème
du mois: Le mystère des supercentenaires.
Un centenaire est une personne âgée de 100
ans au moins. Le nombre des citoyens qui a atteint cet âge est en croissance
rapide. Les statistiques précises manquent dans de nombreux pays mais ils sont
en tout cas plusieurs centaines de milliers de par le monde. Ils sont
par exemple environ 20.000 en France, environ 1.000 en Belgique et près de
50.000 au Japon.
Un supercentenaire est une personne âgée de
110 ans au moins. Le nombre des citoyens qui a atteint cet âge est très réduit.
Actuellement, sur l'ensemble de la planète, il n'y a que
quelques centaines de personnes qui prétendent avoir cet âge et moins de 100
pour lesquelles cet âge est établi avec certitude. Il est important de savoir
que toutes les affirmations quant à des âges beaucoup plus élevés
(130, 140, 150 ans et plus)
sont – presque – certainement fausses.
Autrement dit, alors que devenir centenaire
est maintenant un événement devenu relativement banal, que les
maisons de retraite et les municipalités n'organisent plus guère de fêtes
lorsque leurs résidents atteignent cet âge, par contre, atteindre
l'âge de 110 ans reste exceptionnel.
La probabilité d'atteindre cet âge est
négligeable, même pour les individus qui ont au départ le plus d'atouts. Même
dans les pays les plus riches, pour les femmes ayant une bonne hygiène de vie,
bénéficiant depuis des décennies d'un environnement médical adapté, d'une
famille attentive et d'un bon équilibre psychologique, la chance d'atteindre
cet âge reste dérisoire.
Et pour ces quelques miraculés, l'avenir
n'est pas rose. L'espérance de vie à 110 ans est d'à peine une année.
Pour illustrer encore cette chute
spectaculaire de la santé après 110 ans, il faut savoir qu'il n'y a plus, en
mars 2013, que 13 personnes vivantes dans le monde dont il est certain qu'elles
étaient déjà nées avant l'an 1900. La personne la plus âgée au monde
actuellement n'a "que" 115 ans. Il s'agit de monsieur Jiroemon
Kimura, il est japonais comme de nombreux supercentenaires. Jamais
une personne de sexe masculin n'a vécu aussi longtemps mais plusieurs femmes
ont vécu bien plus longtemps dont Jeanne Calment, décédée en 1997 à l'âge de
122 ans.
Il serait presque tentant de citer la
Genèse (6-3) comme précurseur scientifique: Dieu dit "Que mon esprit ne soit pas indéfiniment
responsable de l'homme, puisqu'il est chair; sa vie ne
sera que de 120 ans"! Mais en fait, au temps de la rédaction
de la Bible, il semble certain que personne n'avait encore atteint cet âge.
Pourquoi utiliser le terme
"mystère" dans cette lettre à propos des supercentenaires alors que
la mort de maladies liées au vieillissement est une évolution naturelle des
êtres humains qui échappent aux autres causes de décès?
- Parce que pour
les personnes âgées de 60 ans et plus, l'espérance de vie continue à
croître nettement. Ainsi, l'espérance de vie à 60 ans en France en l'an
2000 était de 20,4 ans supplémentaires pour les hommes et de 25,6 ans pour
les femmes. En 2012, elle est passée à 22,6 ans (+2,2 années) pour les
hommes et à 27,2 ans (+ 1,6 année) pour les femmes.
- Parce que
l'encadrement dans les maisons de retraite et la connaissance des
problèmes spécifiques concernant les personnes les plus âgées s'améliorent
(personnel mieux formé et plus nombreux).
- Parce que les
traitements médicaux concernant notamment les centenaires et les
supercentenaires deviennent plus performants.
Plusieurs éléments d'explication techniques
déjà abordés dans une lettre précédente (la mort de la mort, décembre 2011)
peuvent être apportés pour tenter d'expliquer la stagnation du nombre des
supercentenaires:
- L'accident
statistique. Etant donné le très petit nombre de supercentenaires, les
fluctuations de ce nombre pourraient ne pas être significatives.
- Un meilleur
contrôle des informations relatives à la date de la naissance aurait pour
conséquence que de moins en moins de personnes exagérant leur âge sont
reprises dans les statistiques.
Ces explications sont toutefois peu
satisfaisantes. Les supercentenaires sont maintenant suivis depuis
suffisamment longtemps pour avoir une base statistique assez fiable. Au
fur et à mesure que les états civils s'améliorent, il devrait y avoir plus et
non pas moins de cas validés. Enfin, il y a 110 ans, le nombre de naissances
augmentait déjà assez rapidement. Même à mortalité constante par application
d'une simple règle de trois, le nombre de
"survivants" atteignant 110 ans en 2012 (et donc nés en 1902) devrait
être supérieur aux nombre de "survivants" ayant atteint l'âge de 110
ans en l'an 2000 et donc nés en 1890).
Les hypothèses d'erreurs de mesure étant
écartées, il faut passer aux aspects de santé proprement dits.
L'arrêt total des cas de survie après 120
ans semble faire suite à un ensemble de phénomènes de dégradations et
d'accumulations. La frontière de la durée de la vie humaine à ces âges pourrait
notamment être imposée par l'amylose, maladie liée aux agrégats de molécules
dans les tissus, et encore peu étudiée. Il semble que cette maladie atteint
(presque?) tous les supercentenaires.
Mais il reste à expliquer pourquoi cette
maladie aurait un impact plus important aujourd'hui qu'hier.
La modification des habitudes alimentaires
pourrait être envisagée comme explication. Cependant l'alimentation trop riche
ne se produit pas partout en même temps. De plus, l'obésité est un
phénomène relativement récent. Les supercentenaires d'aujourd'hui étaient déjà
des pensionnés à la fin des années 60 aux habitudes alimentaires déjà
déterminées.
L'explication la plus raisonnable concerne – malheureusement – des
développements liés aux progrès technologiques, à savoir une aggravation de
certaines formes de pollution ayant des effets nocifs uniquement sur le très
long terme. Beaucoup de substances à la toxicité reconnue sont de moins en
moins présentes dans l'environnement ces dernières années (mercure, particules
radioactives, amiante,...) mais il y a peut-être un "tueur
silencieux" que nous n'avons pas encore détecté. Il pourrait s'agir
de matières à la toxicité peu connue qui se combineraient progressivement dans
le corps pour former des "cocktails" toxiques. Etant donné que
l'évolution est globale, les particules fines dont la concentration et la
nocivité sont croissantes ces dernières décennies paraissent la cause
la plus envisageable.
Que ce soit une substance toxique ou non,
la ou les raisons de la stagnation pour les supercentenaires sont inconnues à
ce jour et ne font même pas l'objet de véritables recherches. Pourtant, au fur
et à mesure que nous gagnons des mois et des années d'espérance de vie, chez
les septuagénaires, les octogénaires puis les nonagénaires, comprendre ce qui
se passe chez les plus âgés devient plus important pour progresser
encore.
Malgré les efforts des écologistes et
d'autres responsables, certains produits potentiellement toxiques dont les
particules fines continuent à se répandre et sont déjà dans les organismes de
tous les citoyens du monde. Combiner une bonne hygiène de vie et des
conditions socio-économiques correctes ne suffirait pas pour vivre au-delà de
110 ans, que la cause de l'arrêt de la vie humaine à cet âge soit
naturelle ou industrielle. Nous pouvons même envisager que, si des progrès
médicaux n'interviennent pas, la dégradation de l'environnement pèse
de plus en plus sur les citoyens les plus âgés. Seuls des progrès de la
médecine pourraient permettre d'aller au-delà particulièrement pour les adultes
d'aujourd'hui qui ont déjà les polluants dans leur corps. C'est un des enjeux
majeurs de ces prochaines années et décennies en termes économiques mais
surtout en termes de bien-être et de santé publique.
La bonne nouvelle du mois: Colloque d'Ecolo
(verts belges) à propos d'une vie plus longue en bonne santé
Le 29 mars à
Bruxelles, Ecolo (verts francophones belges) et Etopia (centre d'animation et
de recherche d'Ecolo) ont organisé un colloque intitulé "Vivre beaucoup
plus longtemps en bonne santé. Pourquoi, pour quand, pour qui ? Quels risques
et quels avantages ?". Ce colloque a notamment donné la parole à Muriel
Gerkens, parlementaire fédérale belge spécialisée dans le domaine de la santé
et à Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo et auteur du livre "La
mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l’humanité."
C'est une des premières fois qu'un parti politique francophone s'intéresse à ce
type de question.
Pour
en savoir plus :
- De
manière générale: http://heales.org, http://longecity.org, http://sens.org et http://immortalite.org
- Déclaration
d'Aubrey de Grey; http://www.fightaging.org/archives/2013/01/natural-death-we-should-be-worried-about-it.php
- Espérance
de vie à 60 ans en France: http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon02229
- Supercentenaires
(en anglais): http://en.wikipedia.org/wiki/Supercentenarian
- Amylose: https://fr.wikipedia.org/wiki/Amylose_(maladie)
- Colloque
Ecolo - Etopia: http://www.etopia.be/spip.php?article2175
- Source
de l'image: Pollution à Sao Paulo
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