samedi 4 février 2012

La mort de la mort. Numéro 34. Janvier 2012.

Repousser le vieillissement est éthiquement acceptable car c’est le but de la médecine. Mais allonger la durée de la vie, et donc fabriquer des hommes augmentés, entraînerait une réforme complète de la société des hommes. Reste à savoir dans quel but. Alain Grimfeld, président du Comité consultatif national d'éthique (2011, France)

Thème du mois: les impôts et la mort, les impôts contre la mort?
L'année de la révolution française, Benjamin Franklin, génie polyvalent qui allait mourir l'année suivante, écrivait Dans ce monde, il n'y a que deux choses certaines dans la vie: les impôts et la mort (taxes and death).

Six ans plus tard, en 1795, dans la toute jeune République française, le marquis de Condorcet s'interrogeait:
Serait-il absurde, maintenant, de supposer que ce perfectionnement de l'espèce humaine doit être regardé comme susceptible d'un progrès indéfini, qu'il doit arriver un temps où la mort ne serait plus que l'effet, ou d'accidents extraordinaires, ou de la destruction de plus en plus lente des forces vitales, et qu'enfin la durée de l'intervalle moyen entre la naissance et cette destruction n'a, elle-même, aucun terme assignable?

Plus de deux siècles plus tard, les impôts et la mort ont bien résisté. Les impôts ont même progressé, au grand regret de nombreux citoyens. Ces hommes et ces femmes qui oublient les avantages liés aux financements collectifs d'innombrables biens et services qui protègent et servent les citoyens depuis les prestations de la sécurité sociale au réseau internet qui leur permet de lire ces lignes.


A première vue, la mort a beaucoup reculé. L'espérance
de vie a fait des bonds de géant faisant plus que doubler. La mortalité infantile a pratiquement disparu en Europe. Même dans les pays les plus pauvres d'Afrique, seule une minorité d'enfants n'atteint plus l'âge adulte. Au cours d'une semaine, nous gagnons environ un week-end d'espérance de vie. Au Bangladesh, un des pays les plus pauvres du monde, l'espérance de vie a cru de plus de 10 ans les 25 dernières années.

Mais la limite extrême de la durée de la vie humaine, elle, n'a pas tellement changé. Le premier être humain qui a atteint l'âge d'un siècle est probablement né il y a près de trois millénaires en Chine, des philosophes grecs ont vécu presque centenaires. Trente siècles plus tard, la personne la plus âgée au monde n'a que 115 ans et l'expression "resplendissante de santé" ne la concerne pas.

La mort et les impôts subsistent donc.

Une part très importante des impôts sert d'ailleurs à retarder la mort. Il en va ainsi, bien sûr, des dépenses en soins de santé ou pour les maisons de repos. Mais il en va également de nombreux investissements dans des domaines variés comme la sécurité routière, les services d'urgence, les forces de police, la lutte contre les pollutions,... En réalité, dans de très nombreux domaines de la vie sociale et politique, un des objectifs fondamentaux, explicites ou implicites, est de permettre une vie en bonne santé plus longue.

Il y a notamment un domaine où des impôts sont payés pour retarder la mort, mais en quantité relativement limitée, c'est la recherche scientifique dans le domaine de la santé. Ce type de dépense se différencie de nombreux autres investissements socialement utiles en ce que la recherche profite potentiellement non pas aux citoyens d'une région ou d'un pays mais à tous les êtres humains. Paradoxalement, un intérêt aussi large que toute la population humaine peut apparaître comme moins porteur que des intérêts catégoriels.

Les dépenses fiscales qui sont explicitement effectuées au bénéfice de l'ensemble de l'humanité sont extrêmement rares à ce jour. On peut citer le financement de l'ONU et d'autres institutions à vocation mondiale, les subsides versés aux organismes qui tentent de réduire les risques liés aux astéroïdes et, de manière plus conséquente, les mesures de lutte contre le réchauffement climatique.

Enfin, les recherches dites fondamentales, dans une certaine mesure, visent l'intérêt de toute la population à progresser dans les connaissances. Mais le but affirmé est assez rarement celui-là. Ces recherches  sont généralement plutôt présentées comme satisfaisant une sorte de curiosité globale de l'espèce humaine, une soif de savoir qui est une des caractéristiques qui font de nos semblables cet être étrange qui cherche constamment à se rassurer, à dépasser et à se dépasser.

Parmi les recherches fondamentales et appliquées relatives à la vie de nos semblables, les investigations relatives au vieillissement concernent le plus de personnes. Et, actuellement, pour trois décès dans le monde, deux décès sont consécutifs aux maladies et affections relatives au vieillissement.

Notre obsolescence à tous est actuellement programmée par la nature. Les recherches de milliers de scientifiques ont permis certaines "déprogrammations" par le biais de la lutte contre les cancers, les maladies dégénératives, les affections cardio-vasculaires,... mais bien du travail reste à accomplir. Sauf à considérer qu'une vie humaine perd de sa valeur au fur et à mesure de l'écoulement du temps jusqu'à devenir négligeable, toutes les investigations permettant de prolonger la vie en bonne santé sont donc potentiellement utiles à des milliards de personnes. 

Des recherches peuvent être accomplies par des firmes pharmaceutiques, mais ces firmes préfèrent les résultats rapides et partiels aux recherches à long terme. Il pourrait même être affirmé, cyniquement, que les solutions les plus globales sont celles le moins susceptibles d'intéresser les grandes compagnies. En effet:
  • Une solution globale réclame des recherches longues;
  • Une percée significative signifierait la disparition de la nécessité de nombreux traitements plus partiels;
  • Des avancées globales seraient d'une telle importance pour des milliards de citoyens du monde que la pression sociale, politique et sociologique empêcherait de privatiser largement les bénéfices des traitements.
Pour toutes ces raisons, ce sont les organismes publics qui sont les plus susceptibles de progresser dans la recherche fondamentale et même dans certaines recherches appliquées de lutte contre le vieillissement. Pour financer ces recherches, les mécanismes de contribution collective sont une solution. Et puisque ce financement permet de vivre plus longtemps en bonne santé, il diminue à terme les soins de santé de type gériatrie, il permet donc in fine de payer moins d'impôts.

Nouvelle du mois

Un des aspects les plus angoissants du vieillissement est le déclin des capacités cognitives avec l'âge. La diminution radicale de la mémoire et d'autres potentialités intellectuelles pour les victimes de la maladie d'Alzheimer est connue et étudiée. Mais une étude récente semble démontrer que, malheureusement, les capacités diminuent chez des adultes non pas encore âgés mais seulement d'âge mur. Selon une enquête durant 10 années, portant sur la mémoire, le vocabulaire et la compréhension de 7.000 hommes et femmes, fonctionnaires britanniques, dès la tranche d'âge de 45 à 49 ans, les capacités diminuent de près de 4%.

Bien sûr, et heureusement, ces diminutions de capacités sont compensées par l'expérience. Mais cela démontre, pour autant que les résultats ne soient pas biaisés par d'autres éléments, que les recherches en matière de lutte contre le vieillissement sont potentiellement utiles non seulement pour les personnes âgées mais également pour bien des hommes et des femmes qui sont encore bien loin du "troisième âge".




• Pour en savoir plus de manière générale: http://sens.org/,http://imminst.org/http://heales.org/ et http://immortalite.org/

• Pour en savoir plus à propos du déclin des capacités cognitives dès l'âge de 45 ans : http://www.bbc.co.uk/news/health-16425522 (en anglais)
• Pour réagir ou recevoir la lettre d'information: info@heales.org
• Source de l'image: statuette dans un musée symbolisant la mort - billets et pièces islandais 

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