(...)
Rien n'a été découvert en biologie qui indique l'inéluctabilité de la mort.
Cela suggère pour moi qu'elle n'est pas du tout inévitable et que c'est
seulement une question de temps avant que les biologistes découvrent ce qu'est
la cause du problème et que cette maladie universelle et terrible ou cette
"temporarité" du corps humain sera guérie. Richard Phillips Feynman Prix
Nobel de physique de 1965 (1918-1988) (traduction)
Thème du mois: À la recherche de termes adéquats pour désigner les personnes pour et contre une longévité accrue
L'immense majorité des citoyens souhaite une vie en bonne santé la plus
longue possible,
Cependant, l'immense majorité des citoyens passe peu de temps à s'interroger
ou à agir sur les moyens de vivre nettement plus longtemps, que ce soit en
prenant des mesures pour sa santé ou en se mobilisant pour la recherche.
Dans ce domaine comme dans d'autres, une mort, c'est un drame, mille morts
c'est une statistique. Qu'une personne que nous connaissons meurt de
vieillesse, cela nous émeut, que 110.000 personnes meurent de maladies liées au
vieillissement chaque jour, c'est la banalité du quotidien.
Aujourd'hui, malgré les progrès médicaux, aucun terme courant ne désigne
ceux qui militent pour des progrès médicaux et scientifiques permettant une vie
en bonne santé beaucoup plus longue. Il n'y a pas non plus de terme pour
définir ceux qui s'y opposent, à savoir les philosophes et éthiciens qui
considèrent que la durée de vie actuelle est globalement satisfaisante. Les
lignes suivantes envisageront quelques hypothèses
Termes utilisés pour désigner les personnes qui veulent permettre une
vie en bonne santé beaucoup plus longue à ceux qui le souhaitent
Les immortalistes.
Le terme est provocateur et commode. Que cherchent à éviter, presqu'en
toute circonstance, l'être humain et aussi l'animal? C'est la mort, de quelque
source qu'elle soit. Cependant, le mot immortalité désigne l'invincibilité,
l'impossibilité de mourir. Ce n'est ni possible ni souhaitable. Ce n'est pas
possible parce que, dans un futur prévisible, nous resterons susceptibles de mourir
que ce soit de maladies non encore connues, d'accidents, de suites d'une
catastrophe ou pour une autre raison. Ce n'est pas souhaitable parce que vivre
est un droit, pas une obligation. Un monde dans lequel il ne serait pas
possible de mourir pourrait être totalement insoutenable pour certains.
Enfin, le terme a une signification religieuse forte. C'est la promesse
d'une éternité après le décès qui concerne de nombreux courants religieux à
commencer par les chrétiens et les musulmans.
Pour s'en distinguer, des spécialistes parlent "d'immortalité
biologique". Ce terme est déjà utilisé pour définir la situation des (très
rares) êtres vivants qui ne se dégradent pas irrémédiablement suite à leur avancée
en âge. Il exprime aussi l'objectif de certaines personnes: la fin de
sénescence humaine. .
Amortalistes
Le terme amortalité est un néologisme encore assez peu utilisé. Il
pourrait désigner les êtres vivants d'aujourd'hui et les femmes et les hommes
d'après-demain pouvant vivre sans vieillissement et donc sans limitation de
durée mais pour qui subsiste un risque de mortalité par accident, décès
volontaire, violence,.... Aujourd'hui cette amortalité signifierait la fin
d'environ 70 % des décès dans le monde et de près de 90 % de la mortalité dans
l'Union européenne. Bref, nous ne mourrions plus de vieillesse, mais nous courrions
encore le risque d'être écrasés par un véhicule, par exemple. "Mourir oui,
mais plus de mort lente" pour paraphraser et contredire Georges Brassens.
Longévitistes ou prolongévitistes
Le terme longévité désigne bien la perspective de l'écoulement du temps
sans la dégradation qui y est aujourd'hui liée. L'ajout du préfixe
"pro" rend l'objectif encore plus compréhensible. Les citoyens
concernés pourraient se définir comme membres d'un mouvement longévitiste ou prolongévitiste.
Enfin, d'autres termes sont parfois proposés, mais ils ne sont pas
souvent utilisés: anti-âge (surtout utilisés pour des produits), antivieillissement,
"mélioriste" (pour améliorer l'homme) et "augmenteur" (du terme "augmentation", proche de
l'anglais "enhancement").
Dans la suite de cette lettre, c'est le mot "longévitiste" qui
sera utilisé.
Termes utilisés pour les personnes qui refusent une vie en bonne santé
beaucoup plus longue (pour eux-mêmes voire même pour ceux qui le souhaitent)
Il n'y a pas de terme par
lequel les opposants à la longévité en bonne santé accrue se définissent
systématiquement. Cependant, certains termes sont utilisés, principalement par
les longévitistes.
Mortalistes
Les longévitistes anglo-saxons utilisent parfois un terme peu amène pour
désigner leurs détracteurs: "deathist" que l'on pourrait traduire par
"mortaliste". Le terme peut a priori paraitre excessif.
Il y a en effet parmi les opposants, certains qui estiment d'abord que
lutter contre les maladies liées au vieillissement est impossible et donc
"utopique" au sens commun du terme. Ils estiment que l'objectif est inatteignable.
Dans ce cadre, les opposants ne sont pas "mortalistes" mais suivent
simplement leur perception de ce qui est possible.
Mais d'autres opposants aux progrès médicaux (ou parfois les mêmes) se
prononcent clairement contre le développement de solutions pour vivre plus
longtemps, même si cela devient médicalement possible. Ils considèrent par
exemple que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue au-delà d'un certain âge
ou ils estiment qu'il y a une sorte de "devoir de mourir" par "solidarité avec les jeunes".
Autres termes
Les anglophones utilisent assez souvent le terme "ageism" qui est
traduit en français par "âgisme". Il désigne les discriminations à
l'égard des personnes âgées dont le souhait de ne pas allonger la vie "inutilement"
ou "de manière contre-nature" peut faire partie. Le terme
bioconservateur est aussi parfois utilisé ainsi que le mot "apologiste"
(pour désigner ceux qui font l'apologie du monde tel qu'il est, un monde où la
durée de vie "naturelle" ne doit pas être augmentée).
L'avenir nous dira si un terme sera intégré au vocabulaire français ou
si l'évolution vers la longévité se fera sans trop de heurts. Après tout, il y
a eu des opposants à toutes les grandes progressions technologiques, pour de bonnes
et de mauvaises raisons, mais l'histoire n'a pas toujours gardé leurs noms.
Ainsi il n'y a pas ou plus de terme pour désigner les opposants à l'hygiène
médicale, à l'anesthésie et aux transfusions sanguines.
La bonne nouvelle du mois : Essai clinique d'un produit luttant contre
le vieillissement envisagé avec les autorités fédérales aux États-Unis.
Une équipe de chercheurs dont le professeur Nir Barzilai de l'Albert
Einstein College of medecine de New-York et le gérontologue renommé Jay
Olshansky a proposé à la "Food and Drug Administration" américaine
(FDA) de tester durant 5 à 7 années l'utilisation de metformine pour trois
mille patients âgés. L'expérience appelée "TAME Study" concernerait
des personnes se trouvant dans des
groupes à risque ou souffrant de maladies liées à l'âge. L'objectif est de
vérifier si ce produit a un impact positif pour réduire plusieurs maladies et diminuer
les processus du vieillissement dans leur ensemble.
La presse anglo-saxonne et francophone ne s'y est pas trompé. Par exemple,
Le Soir, quotidien belge francophone de référence, a titré "Vieillir,
bientôt une maladie?". La puissante autorité américaine n'a pas encore
décidé. Quel que soit le résultat, l'impact est déjà positif dans l'opinion
publique. De plus en plus, la vieillesse n'est plus seulement un naufrage (pour
reprendre une phrase du général de Gaulle), c'est aussi une maladie dont on ne
guérit pas encore mais qui se soigne.
Pour en savoir plus:
·
A propos du projet d'étude TAME,
voir notamment healthspancampaign.org/2015/04/28/dr-nir-barzilai-on-the-tame-study
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