Depuis
le 1er mai 2014, l'espérance de vie en bonne santé a augmenté
de près d'un trimestre dans le monde. La durée moyenne de la vie
des hommes et des femmes en France et en Belgique est de plus de 80
ans. Dans le monde, des millions de citoyens qui seraient morts au
cours des douze derniers mois sans progrès de santé et croissance
technologique coulent aujourd'hui des jours relativement paisibles.
Jusqu'à
la première moitié du siècle passé au moins, le désir de progrès
technique et le désir d'égalité sociale étaient liés. La gauche
rêvait de lendemains qui chantent. Ces lendemains étaient faits de
plus d'égalité, de plus de biens et d'un monde plus facile à vivre
matériellement et technologiquement.
Aujourd'hui,
malheureusement, les progressistes ne rêvent plus guère de progrès
technique, sauf dans une certaine mesure pour les énergies
renouvelables. C'est probablement dû au traumatisme de l'échec de
l'Union soviétique qui se réclamait du communisme et du progrès
technique. Par ailleurs, le développement des pollutions et le
réchauffement climatique ont mené beaucoup de progressistes à
vouloir "renverser la vapeur" là où il fallait plutôt la
purifier et donc l'orienter autrement. Il y a enfin la peur que les
progrès augmentent les inégalités.
Pourtant,
contrairement à ce que beaucoup pensent, l'accélération du
bien-être est plus grande dans les pays du Sud qu'au Nord. La
mortalité infantile qui était une source majeure de décès
poursuit sa diminution. La pauvreté multidimensionnelle décroît.
Dans
ce cadre de progrès humains globaux sans équivalent dans l'histoire
de l'humanité, le téléphone mobile est passé en moins d'une
génération du statut de bien de luxe à celui d'outil utilisé par
la majorité des citoyens du monde. Près de deux milliards de
personnes dans le monde sont connectées de manière mobile. Bien
avant la fin de cette décennie, la majorité des citoyens devrait
avoir un accès mobile à internet. Une part énorme des
connaissances collectives universelles sera accessible à une large
majorité. Ceci pourra se faire presque sans coût et sans
discrimination, surtout si les progressistes se mobilisent en faveur
de progrès techniques pour tous.
Dans
les développements à court et moyen terme, les
(techno)progressistes pourraient exiger que chaque citoyen ait droit
à un téléphone dit intelligent (avec des rayonnements faibles,
mais avec des accès forts à des services collectifs). Ils
pourraient proposer que Google et Wikipédia fonctionnent comme des
services publics de plus en plus développés.
Ils
devraient également réfléchir à l'impact de la robotisation et
des imprimantes 3 D en termes d'accessibilité et de diffusion de
biens. Des emplois fastidieux en moins, c'est, dans un monde
technoprogressiste, une réduction généralisée du temps de travail
possible et une incitation supplémentaire à octroyer un revenu
inconditionnel à chaque citoyen.
Une
gauche proactive devrait exiger des investissements publics
importants pour permettre à tous de vivre mieux et plus longtemps.
Aujourd'hui les différences entre espérances de vie au Sud et au
Nord s'amenuisent. Mais si les résultats des recherches pour une
meilleure santé et une vie plus longue ne sont pas publics, les
progrès seront d'abord réservés aux plus aisés, seuls capables de
s'offrir les soins et de vivre là où la pollution et les particules
fines sont moindres.
En
2015, les investissements publics en faveur de la longévité sont
limités alors que Google et d'autres sociétés placent des sommes
importantes et engagent des chercheurs renommés dans ce domaine.
Cela crée un risque de renforcement des inégalités.
Chaque
centime de financement public utilisé avec succès pour des progrès
médicaux contre les maladies liées au vieillissement peut
bénéficier un jour à toute personne âgée. C'est l'investissement
collectif le plus solidaire imaginable actuellement, un bénéfice
potentiel pour des milliards d'êtres humains sans distinction de
nationalité, d'origine, de capacité financière,...
Une
gauche favorable aux progrès devrait donc exiger des avancées
technologiques collectives beaucoup plus rapides dans les domaines de
la recherche médicale.
Il
est vrai que ces progressions gigantesques ne résolvent pas
(encore?) tous les problèmes de bien-être. En effet, l'abondance
est un instrument insuffisant pour permettre le bonheur de tous. De
plus, au-delà d'un certain niveau de confort matériel, la
perception du bien-être se fait surtout par comparaison avec le
niveau matériel des autres, lequel progresse aussi. Il restera donc
un jour à la gauche (et pas qu'à elle) à découvrir comment
augmenter le bonheur dans une économie d'abondance où le lait et le
miel couleront tellement à flot pour tous que cela ne suffira plus à
nous satisfaire.
Pourquoi
encore la gauche doit-elle être technoprogressiste? Pour développer
l'égalité (radicale) du futur dans un monde où le travail tel que
nous le connaissons sera de moins en moins nécessaire. Mais aussi
parce que les progressions technologiques comprennent des risques
immenses dans les développements contemporains (pollutions, effets
de serre, risques pour la vie privée,...) et dans les développements
à moyen terme. Ces risques à moyen terme, beaucoup moins souvent
abordés, sont des risques existentiels liés à la maîtrise de plus
en plus absolue de la structure du vivant, de la matière et surtout
liés à une intelligence artificielle incontrôlée. Et le principe
de précaution dans une société évoluant, ce n'est pas toujours
arrêter les modifications technologiques, cela peut-être au
contraire les accélérer pour sauver des vies et diminuer des
risques.
Pour
que le progrès technique ait le plus de chance d'être aussi un
progrès tout court, pour que les lendemains extraordinaires soient
aussi des lendemains qui chantent, un des éléments favorables est
une gauche proactive, capable de faire primer paix, égalité,
justice et souci du bien commun sur les intérêts financiers et
matériels à court terme. Peu de politiques de gauche semblent
l’avoir compris.
Il
faut penser globalement pour agir localement. Il faut aussi penser à
long terme pour agir à court terme. La question n'est plus de savoir
si les progressions technologiques vont permettre une vie beaucoup
plus longue en bonne santé, mais de réfléchir collectivement aux
conséquences, de permettre à tous ceux qui le souhaitent de vivre
plus longtemps et de maîtriser les risques. La science-fiction
d'aujourd'hui, rêve ou cauchemar, voire plus probablement rêve et
cauchemar, ne sera pas seulement la réalité de nos enfants, c'est
aussi la nôtre.
- Informations quant aux progressions d'espérance de vie et d'autres progrès sociaux: www.gapminder.org
- À propos des dangers de l'intelligence artificielle, voir notamment l'ouvrage de Nick Bostrom en.wikipedia.org/wiki/Superintelligence:_Paths,_Dangers,_Strategies
- Livre technoprogressiste au sujet de la longévité: Et si on arrêtait de vieillir !: Réalité, enjeux et perspectives d'une vie en bonne santé beaucoup plus longue
- Ce texte est une version actualisée d'un texte distribué à la fête du 1er mai depuis 2009. Rendez-vous le 1er mai2016 !
Réactions:
didier.coeurnelle@gmail.com
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