Compte tenu du coût de ces technologies,
comment financer cette médecine de demain? Tout dépend du pourcentage du PIB
que l'on est prêt à consacrer à la santé. On peut aussi considérer que développer
ce nouveau secteur à forte valeur ajoutée va générer de la richesse, des
emplois, dans un cercle vertueux pour la France. Hervé Chneiweiss neurobiologiste, président du
comité d'éthique de l'Inserm (Institut national de la Santé et de la recherche
médicale). Le Nouvel Observateur, 2 janvier 2014.
Thème du mois: Longévité, équité, technoprogressisme et
transhumanisme.
Chaque semaine, depuis des générations, nous gagnons un week-end
d'espérance de vie. Rares sont ceux qui le regrettent.
Petit à petit, les citoyens prennent conscience que les frontières de la longévité sont flexibles. Ceci se passe notamment grâce à Google, sa société Calico et ses projets en matière de recherche génétique et aussi ‑ surtout - grâce aux communications de milliers de chercheurs qui multiplient les découvertes.
Cependant, les peurs des citoyens sont aussi présentes. Nous tendons tous à avoir une attitude ambivalente vis-à-vis du progrès scientifique et technologique en général. La nostalgie d'un passé révolu et l'espoir d'un futur radieux se mélangent. Il en va encore plus ainsi de questions vertigineuses comme celles qui touchent à notre existence même.
Longévité réservée aux
riches?
L'inquiétude exprimée le plus souvent est que vivre beaucoup plus
longtemps en bonne santé soit un jour réservé aux plus aisés.
Des peurs similaires de progrès réservés aux riches se sont exprimées
par le passé par exemple pour l'accès à internet et l'accès au téléphone
mobile. Ces inquiétudes se sont révélées le plus souvent infondées. De manière générale,
un progrès technologique et même une autre découverte fait l'objet d'une
appropriation d'abord par un nombre réduit d'individus puis devient utile à un
plus grand nombre. La rapidité de la diffusion dépend notamment du coût de la
production des nouveaux objets et du souhait des premiers détenteurs de ces technologies.
Mais elle dépend aussi de la volonté collective de se les approprier.
Pour ce qui concerne les progrès en matière de longévité, qu'ils se fassent par de nouveaux produits, par des nanotechnologies, par des cellules-souches ou par des thérapies, les recherches pour aboutir à des thérapies seront presque certainement ardues et coûteuses. Par contre, une fois les thérapies disponibles, les coûts de production des thérapies seront vraisemblablement peu élevés.
Un parallèle peut être fait avec la réalisation de téléphones intelligents. Les recherches technologiques pour les construire ont coûté des milliards d'euros. Ils ont permis la réalisation de bijoux de technologie qui nous servent à presque tout, de l'encyclopédie au thermomètre. Comme la production de ces outils extraordinaires se compte en centaines de millions d'exemplaires, le prix est devenu abordable, y compris pour des citoyens pauvres et il sera probablement bientôt négligeable.
Plus près des thérapies de longévité, les médicaments contre le sida
sont un autre élément de comparaison. Alors que les recherches ont,
elles-aussi, coûté des sommes gigantesques, les prix des médicaments ont chuté
jusqu'à atteindre aujourd'hui environ un dollar par mois pour une thérapie
prolongeant de plusieurs décennies la vie des personnes atteintes.
Pour les médicaments relatifs au sida, il aura fallu attendre une vingtaine d'années, et l'expiration de brevets, pour que les prix deviennent accessibles. C'est peu à l'échelle de l'histoire humaine, mais cela fut trop long pour des millions de gens.
Pour les
recherches en matière de longévité, il existe également un risque, si les
recherches ne sont pas publiques ou si des mesures efficaces ne sont pas prises
pour rendre accessibles les brevets, que pendant une période intermédiaire les
pauvres continuent à mourir pendant que les riches bénéficieront de thérapies
coûteuses.
Le risque est faible car la pression sociale, économique, politique, éthique pour rendre accessible des produits utiles à des milliards d'individus sera énorme. Le risque sera plus limité encore si les progressistes d'Europe et d'ailleurs se mobilisent pour exiger des recherches publiques accrues.
Déclaration technoprogressiste
C'est notamment
en ayant cette dimension à l'esprit que, au cours du colloque Transvision,
organisé à Paris à l'initiative de l'Association française transhumaniste (AFT)
Technoprog, de l'association FiXience et du groupe Traces, la majorité des
personnes présentes ont apporté des réponses empreintes d'un optimisme basé sur
la prise de conscience des espoirs -mais aussi des risques- nés des progressions
technologiques.
Une Déclaration
Technoprogressiste a été adoptée le 21 novembre 2014. Elle mentionne notamment:
Le monde est
de manière inacceptable inégalitaire et dangereux. Les technologies émergentes
pourraient le rendre largement meilleur, ou bien pire. Malheureusement, trop
peu de gens comprennent aujourd’hui la dimension des menaces ou des bienfaits
auxquels l’humanité doit faire face. Il est temps pour les technoprogressistes,
les transhumanistes et les prospectivistes de renforcer leur engagement
politique afin de tenter d’influer sur le cours des événements.
Le cœur de
notre engagement stipule que le progrès technologique ainsi que la démocratie
sont des prérequis nécessaires pour émanciper l’humanité et la libérer de ses
contraintes. Nous reconnaissant dans les promesses des Lumières, nous avons de
nombreux homologues dans d’autres mouvements promouvant la liberté et la
justice sociale. (...)
Nous appelons
à une augmentation significative des dépenses publiques pour la recherche de
thérapies contre le vieillissement, en plus d’un accès universel à ces
thérapies puisqu’elles visent à doter tout le monde d’une vie plus longue et en
meilleure santé. Nous estimons qu’il n’existe aucune différence entre
"thérapie" et "augmentation". Une réforme des
réglementations sur les médicaments et les implants mélioratifs est donc
nécessaire pour accélérer leur acceptation.
Cette déclaration appelle donc les citoyens, particulièrement ceux qui sont les plus attachés aux intérêts collectifs et à la prévention des risques, à se mobiliser dans un sens qui peut être qualifié de "proactif" pour des recherches et actions collectives permettant une vie en bonne santé beaucoup plus longue, plus harmonieuse et avec une meilleure prévention des risques.
La bonne et la moins bonne nouvelle du mois :
Google stocke les génomes mais en matière de longévité, les secrets restent bien gardés
Google stocke les génomes mais en matière de longévité, les secrets restent bien gardés
La presse anglophone a fait état de la création par Google de
"Google Genomics", une application en ligne qui permet de stocker,
explorer et partager le séquençage du génome. Les normes à ce sujet sont fixées
par une "Global Alliance for Genomics and Health" représentant 220
institutions notamment en France le Centre international de Recherche sur le
Cancer. Le prix annoncé de la mise à disposition est de 25 dollar par an pour un
génome humain. Cette initiative de Google, comme bien d'autres initiatives de
cette société, est interpellante. Il faut noter la transparence à ce sujet mais
ceci ne signifie cependant bien sûr pas l'absence de risques.
Le génome de 17 supercentenaires (personnes âgées de 110 ans et plus) a
été séquencé. Selon les résultats publiés, aucune mutation génétique commune
caractéristique d'une longévité accrue n'a pu être déterminée. L'article à ce
sujet a été publié par un collectif d'auteurs, dont Stephen Coles directeur du
Gerontology Research Group, malheureusement décédé quelques jours après la
publication. Les recherches dans ce domaine s'annoncent donc longues et ardues.
Pour les faciliter, les auteurs ont annoncé que le génome des personnes
concernées est mis à disposition.
Pour en savoir plus:
·
A propos de
Transvision 2014: transvision2014.org (site
internet et logo reproduit dans cette lettre), www.youtube.com/playlist?list=PLlB9Vm4imyfWwsWXDOvNuuwZvfj0nHAEZ (canal
YouTube des débats, en français et en anglais selon les interventions), www.transhumanistes.com/forum/viewtopic.php?f=14&t=64 (Déclaration
Technoprogressiste), fixience.fr (site de FiXience), www.groupe-traces.fr (site
du groupe Traces).
·
A propos de Google
Genomics: cloud.google.com/genomics/ (site), genomicsandhealth.org/members (liste
des organisations membres) www.technologyreview.com/news/532266/google-wants-to-store-your-genome/ (un
article à ce sujet).
·
A propos du
séquençage du génome de supercentenaires: www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0112430 (en
anglais).
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