mercredi 2 mai 2012

Plaidoyer progressiste et technoprogressiste notamment pour une vie beaucoup plus longue pour tous (1er mai 2012)



L'Humanité se décrit par ses franchissements de frontière, des choses qui paraissaient impensables On était par exemple dans le récit pour s’expliquer et raconter les choses. Et puis on est passé à l’écrit. Enfin la mémoire ne se perdait plus lorsque quelqu’un mourait (…) Et Gagarine lui a franchi cette frontière de l'espace. Lorsque nous avons contrôlé, lorsque les femmes ont pu contrôler leur fécondité, c'était une frontière. Ce qui était autrefois une condition biologique a cessé d'être une servitude. Demain nous vaincrons la mort. Merci Condorcet qui l’écrivait, deux jours après il était guillotiné. Cette espérance humaine dans la foi dans l'avenir, dans le progrès, aller au-delà de soi, voilà ce qui compte, le reste…  Jean-Luc Mélenchon, 12 janvier 2012, Des paroles et-des actes, 28ème minute )

Depuis mai 2011, l'espérance de vie en bonne santé a augmenté d'environ un trimestre dans la circonscription électorale toujours non scindée de Bruxelles-Hal-Vilvorde et de près d'un semestre au Bangladesh. Des millions de citoyens néerlandophones, francophones et du reste du monde qui seraient morts au cours des douze derniers mois sans progrès de santé et croissance économique coulent aujourd'hui des jours relativement paisibles.

Jusqu'à la première moitié du siècle passé au moins, le désir de progrès technique et le désir d'égalité sociale étaient liés. La gauche rêvait de lendemains qui chantent. Ces lendemains étaient faits de plus d'égalité, de plus de biens et d'un monde plus facile à vivre matériellement et technologiquement.

Aujourd'hui, les progressistes ne rêvent plus guère de progrès technique. Ce n'est pas parce que les progrès, avant de bénéficier à tous, profitent d'abord aux riches et créent parfois du chômage pour les travailleurs pauvres, car cela a été le cas depuis des siècles. C'est probablement plus dû au traumatisme de l'échec de l'Union soviétique qui se réclamait presque indissociablement du communisme et du progrès technique. Et plus récemment, le développement des pollutions a mené beaucoup de progressistes à vouloir "renverser la vapeur" là où il fallait plutôt la purifier et donc orienter autrement.
Aujourd'hui, en termes d'abondance, les lendemains ont chanté largement. Contrairement à ce que beaucoup affirment, l'accélération est non pas moindre, mais plus extraordinaire encore dans les pays du Sud. La mortalité infantile qui était une source majeure de décès poursuit sa diminution et ceci même dans la majorité des Etats africains, malgré les ravages de la malnutrition et de l'épidémie de Sida. Au Sénégal par exemple, l’espérance de vie a cru d’environ 9 ans durant les 25 dernières. Au Bangladesh, plus encore : 12 ans.

Dans ce cadre de progrès humains globaux sans équivalent dans l'histoire de l'humanité, le téléphone mobile est le premier objet courant jamais passé du statut de bien de luxe à celui d'outil accessible à la majorité des citoyens du monde en moins d'une génération. Avant la fin de cette décennie, la majorité des citoyens du monde devrait avoir accès à des mobiles connectés à internet. Une part énorme des connaissances collectives universelles sera accessible à presque tous presque sans coût et sans discrimination. Et ainsi, même les citoyens pauvres du Sud auront accès à plus de connaissance que ce qui était accessible aux plus riches habitants des pays du Nord il y a moins d'un siècle.

Dans les développements à court et moyen terme, les progressistes gagneraient à être technoprogressistes. Ils pourraient exiger que chaque citoyen ait droit à un téléphone mobile (avec des rayonnements faibles, mais avec des accès forts à des services collectifs) plutôt que de se concentrer sur les risques de ces appareils. Ils gagneraient à proposer que Google, Wikipédia fonctionnent comme des services publics de plus en plus développés plutôt que d'intervenir presque exclusivement par rapport aux dangers.

Une gauche proactive pourrait exiger des investissements publics importants pour permettre à tous de vieillir beaucoup moins dans quelques décennies. Aujourd'hui les différences entre espérances de vie au Sud et au Nord s'amenuisent. Mais si les recherches pour une meilleure santé et une vie plus longue sont envisagés avec méfiance, les progrès seront réservés aux plus aisés, seuls capables de s'offrir les soins et à ceux capables de vivre là où les particules fines sont moins nombreuses.

Une gauche favorable aux progrès pourrait plus globalement réclamer des investissements technologiques collectifs plus importants dans les domaines médicaux, de diffusion des connaissances et de gestion des énergies. Dans ce dernier domaine heureusement, les écologistes et la gauche semblent devenir ou redevenir technoprogressistes, mais en axant l'essentiel de leur énergie sur la problématique du réchauffement climatique. Ceci alors que la question environnementale principale, proche, mais pas identique, est celle de la mise à disposition suffisante et rapide d'énergies abondantes, non polluantes et renouvelables.

Ces avancées fantastiques ne résolvent pas (encore?) tous les problèmes de bien-être. Ceci s'explique notamment parce que l'abondance est un instrument insuffisant pour permettre le bonheur de tous. De plus, au-delà d'un certain niveau de confort matériel, la perception du bien-être se fait presque exclusivement par comparaison avec le niveau matériel des autres, lequel niveau progresse aussi. Il reste donc à la gauche (et pas qu'à elle) à découvrir comment augmenter le bonheur dans une économie d'abondance où le lait et le miel, symboles d'abondance et de bonheur, coulent tellement pour tous que cela ne nous satisfait plus.

Pourquoi encore la gauche doit-elle être technoprogressiste? Pour développer l'égalité du futur. Mais aussi parce que les progressions technologiques rapides comprennent des risques immenses  dans les développements en cours souvent abordés (pollutions, effets de serre, risques pour la vie privée, fracture numérique,...) mais également dans les développements à moyen terme. Ce sont des risques existentiels liés à la maîtrise de plus en plus absolue de la structure du vivant, de la matière et peut-être à terme au développement de l'intelligence artificielle. Et le principe de précaution dans une société évoluant, ce n'est pas toujours arrêter les modifications technologiques, cela peut-être au contraire les accélérer pour sauver des vies et diminuer des risques.

Pour que le progrès technique ait le plus de chance d'être aussi un progrès tout court, pour que les lendemains extraordinaires soient aussi des lendemains qui chantent, un des éléments favorables est une gauche proactive, capable de faire primer paix, égalité, justice et souci du bien commun sur les intérêts financiers et matériels à court terme. Peu de politiques de gauche semblent l’avoir compris.

Il faut penser globalement pour agir localement. Il faut aussi penser à long terme pour agir à court terme. La question n'est plus de savoir si les progressions technologiques vont permettre une vie beaucoup plus longue en bonne santé, mais de réfléchir collectivement aux conséquences, de permettre à tous ceux qui le souhaitent de vivre plus longtemps et de maitriser les risques. La science-fiction d'aujourd'hui, rêve ou cauchemar, voire plus probablement rêve et cauchemar, ne sera pas seulement la réalité de nos enfants, ce sera aussi la nôtre.


Pour des informations statistiques relatives aux progressions en matière d'espérance de vie: http://www.gapminder.org

Ce texte est une version actualisée d'un texte distribué à la fête du 1er mai depuis 2009. Rendez-vous le 1er mai 2013!

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