samedi 1 mai 2010

Petit plaidoyer progressiste et technoprogressiste (1er mai 2010)

Depuis mai 2009, l'espérance de vie en bonne santé a augmenté d'environ un trimestre dans la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vivorde et de près d'un semestre au Bangladesh. Des millions de citoyens néerlandophones, francophones et du reste du monde qui seraient morts au cours des douze derniers mois sans progrès de santé et croissance économique coulent aujourd'hui des jours relativement paisibles.

Jusqu'au début du 20ème siècle au moins, le désir de progrès technique et le désir d'égalité sociale étaient liés. La gauche rêvait de lendemains qui chantaient. Ces lendemains étaient faits de plus d'égalité, de plus de biens et d'un monde plus facile à vivre matériellement et technologiquement.

Aujourd'hui, les progressistes ne rêvent plus guère de progrès technique. Ce n'est pas parce que les progrès, avant de bénéficier à tous, profitent d'abord aux riches et créent parfois du chômage pour les travailleurs pauvres, car cela a été le cas depuis des siècles. C'est probablement plus dû au traumatisme de l'échec de l'Union soviétique qui se réclamait presque indissociablement du communisme et du progrès technique. Et plus récemment, le développement des pollutions a mené beaucoup de progressistes à vouloir "renverser la vapeur" là où il fallait plutôt la purifier et donc orienter autrement.

Aujourd'hui, en termes d'abondance, les lendemains ont chanté largement dans les pays du Nord, mais aussi dans les pays du Sud. Contrairement à ce que beaucoup affirment, l'accélération est non pas moindre, mais plus extraordinaire encore dans les pays du Sud. La mortalité infantile qui était une source majeure de décès poursuit sa diminution et ceci même dans la majorité des Etats de l'Afrique subsaharienne, malgré les ravages de la malnutrition et de l'épidémie de Sida.

Dans ce cadre de progrès humains globaux sans équivalent dans l'histoire de l'humanité, le téléphone mobile est le premier objet courant jamais passé du statut de bien de luxe à celui d'outil accessible à la majorité des citoyens du monde en moins d'une génération. D'ici moins d'une décennie, la majorité des citoyens sachant lire aura vraisemblablement accès à des mobiles connectés à internet. Une part importante des connaissances collectives universelles sera accessible à presque tous presque sans coût et sans discrimination. Et ainsi, même les citoyens pauvres du Sud auront accès à plus de connaissance que ce qui était accessible aux plus riches habitants des pays du Nord il y a à peine un siècle.

Dans les développements à court et moyen terme, les progressistes gagneraient à être technoprogressistes. Ils pourraient exiger que chaque citoyen ait droit à un téléphone mobile (avec des rayonnements faibles, mais avec des accès forts à des services collectifs) plutôt que de se concentrer sur les dangers de ces appareils. Ils gagneraient à proposer que Google, Wikipédia et d'autres sites internet fonctionnent comme des services publics de plus en plus développés plutôt que d'intervenir presque exclusivement par rapport aux dangers de Google et de ses concurrents.

Une gauche proactive pourrait exiger des investissements publics importants pour permettre à tous de vieillir beaucoup moins dans quelques décennies. Aujourd'hui les différences entre espérances de vie au Sud et au Nord s'amenuisent. Mais si les recherches pour une meilleure santé et une vie plus longue sont envisagés avec méfiance, les progrès seront réservés aux plus aisés, seuls capables de s'offrir les soins.

Une gauche favorable aux progrès pourrait plus globalement réclamer des investissements technologiques collectifs plus importants dans les domaines médicaux, de diffusion des connaissances et de gestion des énergies. Dans ce dernier domaine heureusement, les écologistes et la gauche semblent devenir ou redevenir technoprogressistes, mais en axant l'essentiel de leur énergie sur la problématique du réchauffement climatique. Ceci alors que la question environnementale principale, proche, mais pas identique, est celle de la mise à disposition suffisante et rapide d'énergies abondantes, non polluantes et renouvelables.

Ces avancées fantastiques ne résolvent pas (encore?) tous les problèmes de bien-être. Ceci s'explique notamment parce que l'abondance est un instrument insuffisant pour permettre le bonheur de tous. Ceci s'explique également parce que, au-delà d'un certain niveau de confort matériel, la perception du bien-être se fait presque exclusivement par comparaison avec le niveau matériel des autres, lequel niveau progresse aussi. Il reste donc à la gauche (et pas qu'à elle) à découvrir comment augmenter le bonheur dans une économie d'abondance où le lait et le miel des temps bibliques coulent tellement pour tous que cela ne nous satisfait plus.

Pourquoi encore la gauche doit-elle être technoprogressiste? Parce que c'est ainsi que se développera le mieux l'égalité du futur. Mais aussi parce que les conquêtes technologiques rapides comprennent des risques immenses non pas seulement dans les développements déjà en cours souvent abordés (pollutions, effets de serre, risques pour la vie privée, fracture numérique,...) mais également dans les développements à moyen terme. Ce sont des risques existentiels liés à la maîtrise de plus en plus absolue de la structure du vivant, de la matière et peut-être à terme au développement de l'intelligence artificielle. Et le principe de précaution dans une société évoluant, ce n'est pas toujours arrêter les modifications technologiques, cela peut-être au contraire les accélérer pour sauver des vies et diminuer des risques.

Pour que le progrès technique ait le plus de chance d'être aussi un progrès tout court, pour que les lendemains extraordinaires soient aussi des lendemains qui chantent, un des éléments favorables est une gauche proactive, capable de faire primer paix, égalité, justice et souci du bien commun sur les mécanismes visant les intérêts financiers et matériels à court terme.

Il faut penser globalement pour agir localement. Il faut aussi penser au long terme pour agir à court terme. Et notamment en comprenant que l'accélération technologique a entre autres pour conséquence que le long terme du 21ème siècle est beaucoup plus proche que le long terme des siècles précédents. La science-fiction d'aujourd'hui, rêve ou cauchemar, voire plus probablement rêve et cauchemar, ne sera pas seulement la réalité de nos enfants, ce sera aussi la nôtre.



• Pour en savoir un peu plus: voir notamment http://technoprog-fr.blogspot.com
• Pour des informations statistiques relatives aux progressions en matière
d'espérance de vie: http://www.gapminder.org
• Ce texte est une version actualisée d'un texte distribué en mai 2009. Rendez-vous au 1er mai 2011!







Source des images:
http://www.flickr.com/photos/ghirigoribaumann/2970618023/ et http://www.flickr.com/photos/surfstyle/277576227


Aucun commentaire: