Il n'y a pas très longtemps, un industriel
français que je ne citerai pas m'engueule parce que dans "La mort de la
mort", j'explique que la mort de la mort, c'est pour dans deux
générations. Et lui qui est très riche et puissant, il ne comprend pas pourquoi
il n'a pas droit à l'immortalité. Et il trouve cela profondément injuste. (...)
Ma génération à moi est probablement l'avant-avant-dernière à mourir ou
l'avant-avant-avant dernière (...) C'est la plus grande injustice de tous les
temps et il faut l'assumer. Laurent Alexandre, médecin,
dirigent de DNAVision, spécialiste des questions de longévité, lors d'une conférence
"Les euro-révolutionnaires" mise en ligne le 20 juin 2014.
Thème du
mois: La vieillesse est-elle une maladie?
Voici une question qui divise, voire qui fâche au sein de la communauté
de ceux qui militent pour une vie beaucoup plus longue en bonne santé.
Devons-nous considérer le vieillissement comme une maladie dont sont atteints toutes
les femmes et les hommes pour autant qu'ils dépassent un certain âge. Ou bien
est-ce une caractéristique physiologique, une évolution naturelle que nous
cherchons à limiter?
Pour se forger une opinion, il importe d'abord de définir ce qu'est une
maladie. La maladie, chez l'être humain, c'est une altération des fonctions ou
de la santé. Le mot maladie vient du
latin male qui signifie en mauvais état. Le mot anglais disease lui vient du préfixe privatif dis et du mot aise ou eise qui, en
ancien français signifiait plaisir,
confort, agréable. La maladie, c'est donc étymologiquement, comme dans
notre perception, un dysfonctionnement du corps (y compris le système nerveux
pour la santé mentale) provoquant un inconfort.
Le concept de maladie s'oppose généralement à celui de (bonne) santé
encore que l'Organisation mondiale de la santé déclare explicitement dans son
texte constitutif que "La santé est
un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d’infirmité."
Passons en revue quelques arguments en faveur et en défaveur de l'usage
du terme maladie.
Arguments contre
la prise en considération du vieillissement comme une maladie
1. L'argument principal est celui de la normalité et de l'universalité.
La vieillesse est un phénomène universel. C'est un développement normal de
l'être humain. Ce n'est donc pas une maladie.
Il peut d'abord être répondu à cela que le vieillissement n'est devenu
un phénomène universel que récemment et principalement chez l'être humain car la
plupart des autres êtres vivants meurent d'innombrables autres causes:
prédations, parasites, maladies infectieuses, malnutrition, ...
Ensuite, il n'entre pas dans la définition courante d'une maladie
qu'elle doive être exceptionnelle, "anormale". La majorité des
citoyens sont atteints de la grippe un jour ou l'autre, c'est
"normal", mais cela n'en reste pas moins une maladie.
2. Un autre argument est celui tiré de la "bonne santé"
d'individus âgés. Il est ainsi affirmé que, même si les maladies sont plus
fréquentes chez les personnes âgées, il n'en reste pas moins que beaucoup d'individus
avançant en âge conservent une état physiologique tout à fait satisfaisant,
démontrant par-là que le vieillissement n'est pas une maladie.
Cet argument est défendable jusqu'à un certain âge. En effet, même si des
athlètes peuvent courir un marathon, nager, avoir des activités intenses
jusqu'à 70, 80 voire 90 ans, à un moment donné, de toute façon, les capacités
diminuent de manière importante.
3. Un troisième argument est issu de l'affirmation que la vieillesse
n'est pas une maladie, parce qu'elle est un développement inévitable, que personne
donc ne guérit de la vieillesse.
Selon ce raisonnement, toute affection aujourd'hui incurable ne devrait
pas être considéré comme une maladie. Or, cet argument est très rarement
apporté, par exemple, pour le virus du SIDA ou pour la maladie d'Alzheimer.
4. Enfin, un argument à connotation sociale est parfois avancé: considérer
la vieillisse comme une maladie, cela signifie qu'une personne âgée est une
personne malade et cela la stigmatise.
Il est clair cependant en ce début de 21e siècle, pour la grande
majorité des citoyens et plus encore du corps médical, que le fait d'être plus
faible psychologiquement ou physiquement, pour quelque raison que ce soit, ne
doit pas remettre en cause le droit à un traitement. Au contraire du risque de
stigmatisation et de discrimination, une personne plus faible, une personne
malade, a droit à plus de soins, plus d'affection et plus de protection visant
à améliorer autant que possible sa situation.
Arguments en
faveur de la prise en considération du vieillissement comme une maladie
Une maladie tant en langage courant qu'en langage médical, c'est un état
dans lequel les capacités physiques sont fortement diminuées à tel point que le
fonctionnement normal de l'organisme n'est plus possible. En ce sens le simple
fait du vieillissement est bien indice d'une maladie. Les indicateurs de
réduction physiologique d'un individu normal âgé sont innombrables. Parmi ceux-ci:
- diminution de la force et de la
masse musculaires;
- diminution de la capacité
pulmonaire;
- diminution des capacités
cardio-vasculaires;
- diminution des capacités
cognitives;
- diminution des capacités des
organes sensoriels (réduction de la vision, de l'odorat, du goût);
- diminution des capacités
sexuelles et de reproduction (et même suppression de la capacité de
reproduction chez la femme).
Mais la liste complète est bien plus longue. En réalité, presque tout
dans le corps de l'être humain, se transforme progressivement avec l'avancée en
âge et ceci à des rythmes variant selon les individus. Comme il s'agit d'un
phénomène progressif et comme l'organisme a de merveilleuses facultés
d'adaptation, nous ne nous en apercevons que rarement et partiellement. Mais du
plus visible, la peau et les cheveux jusqu'au cœur de notre organisme, des plus
grands os aux plus petites cellules et même parmi les myriades d'êtres vivants
qui nous accompagnent en symbiose, en parasite, en source d'infection ou de
guérison, tout se transforme. Presque tous les indicateurs biométriques se
modifient. Même l'eau, source de toute vie, s'intègre fondamentalement
différemment chez un jeune adulte où elle forme 60 % du poids corporel et chez
une personne âgée où elle n'en représente plus qu'environ 45 %.
La maladie, un
concept changeant
C'est l'état des connaissances, mais aussi les évolutions culturelles
qui font de certaines caractéristiques humaines une maladie. L'homosexualité
n'est plus considérée comme une maladie aujourd'hui. L'obésité, par contre, est
devenue une maladie. Il pourrait en aller de même du vieillissement.
C'est aussi un débat partiellement sémantique. Ainsi le froid et la
chaleur ne sont pas des maladies, mais on parlera d'un coup de froid et d'un coup de
chaleur.
Les progrès considérables de ces dernières décennies ont permis une
telle maîtrise que des personnes de plus en plus âgées nous apparaissent comme
en bonne santé. Cependant si un médecin ou même un citoyen ordinaire pense examiner
une personne de 25 ans alors qu'il examine un centenaire, jamais il ne pensera
que cette personne est en bonne santé. En ce sens en tout cas, la vieillesse
est bien une maladie et même la principale maladie de ce début du 21ème siècle,
de Londres à Berlin, de Pondichéry à Ushuaia et de 50 à 122 ans.
Toutefois, il est probablement préférable d'indiquer que l'avancée en
âge, le simple fait de l'écoulement du temps, est l'origine principale, voire
parfois l'origine unique d'innombrables maladies et pas la maladie elle-même. Les
maladies cardio-vasculaires, les cancers et les maladies neuro-dégénératives
sont les affections les plus fréquentes pour le nombre de décès, mais un nombre
énorme d'autres affections sont concernées. La dégradation de tout ce qui nous
rend humain est heureusement progressive et souvent non-douloureuse. Comme pour
d'autres affections, nous n'avons d'autre choix en cette année 2014 que de
l'accepter. Cela ne signifie pas qu'il faut l'accepter sans réserve pour
toujours.
Bonne nouvelle du mois: transfusion
sanguine pour lutter contre la maladie d'Alzheimer
La maladie d'Alzheimer est la principale
affection pour laquelle le nombre de personnes atteintes, le rythme d'évolution
et le nombre de décès ne décroit que peu en proportion de la population
concernée (dans une tranche d'âge donnée). En chiffres absolus, il s'agit même
d'une maladie à croissance rapide, vu l'avancée en âge de la population et la
réduction des autres causes de morbidité et de mortalité.
De nombreuses pistes scientifiques sont
suivies afin de tenter de lutter plus efficacement contre les maladies
neuro-dégénératives. Les recherches relatives à l'utilisation de sang dans le
cadre de processus de réjuvénation sont nombreuses ces derniers mois. Des
patients modérément ou fortement atteints par la maladie d'Alzheimer vont
bénéficier de transfusions sanguines afin de tenter de diminuer l'impact de
cette maladie redoutable. Cette expérience, qui se déroulera en Californie est
basée sur des tests sur des souris qui ont été efficaces, tant pour l'état de
santé global que pour les capacités cognitives.
Pour en savoir plus:
- De manière générale, voir
notamment:
http://heales.org, http://sens.org et http://longecity.org - Qu'est-ce qu'une maladie? http://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie
- Article du New Scientist relatif aux souris:
http://www.newscientist.com/article/mg22329831.400-young-blood-to-be-used-in-ultimate-rejuvenation-trial.html?full=true#.U_kaPfmTivQ
- Citation de Laurent Alexandre (https://www.youtube.com/watch?v=tw1lEOUWmN8
57 m 28)
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