Senectus ipsa est
morbus. La vieillesse elle-même est une maladie. Publius Terentius Afer, auteur latin
dans une comédie intitulée "Phormion". Deuxième siècle avant
Jésus-Christ.
Thème du mois: Longévité et
expérimentation animale
L'immense majorité des espèces animales subissent la sénescence. Ceci
signifie que, même placés dans un environnement parfaitement adapté, les
dommages physiologiques qui se produisent du simple fait de l'écoulement du
temps s'accumulent et finissent par provoquer le décès, même en l'absence de
prédateur, de parasites ou de maladies infectieuses.
Pour la plupart des espèces animales y inclus l'homme, non seulement
l'écoulement du temps provoque le décès, mais l'évolution des dégradations est
exponentielle plutôt que linéaire. Donc, le pourcentage de mortalité
durant une période de temps déterminée croit avec l'âge.
Pour l'être humain, il est généralement admis que la mortalité suite au
vieillissement double à partir de l'âge adulte environ tous les huit
ans (modèle dit de Gompertz). Pour les autres espèces, le rythme de
croissance de la mortalité diffère. Les durées de vie en captivité,
moyennes et extrêmes sont en effet très différentes d'une espèce animale à
l'autre. En général, plus une espèce est petite, plus elle a des prédateurs
dans le cadre naturel, plus sa vie en captivité (donc même
en l’absence de prédateurs) sera courte. Par ailleurs, à l'intérieur
d'une même espèce, les durées de vie moyennes et maximales des individus
varient selon les groupes. Par exemple, les races de chiens et de souris de petite
taille vivent généralement plus longtemps.
Le vieillissement étant un processus lent, l'expérimentation est
difficile. Plus la durée de vie d'un animal est longue, plus l'expérimentation
est complexe et coûteuse. Par contre, étant donné que nous, êtres humains
avons la chance de pouvoir vivre près d'un siècle, plus la durée de vie des
animaux d'expérimentation est longue, plus la comparaison avec la situation
humaine sera pertinente. Pour ces raisons, les expérimentateurs et les
observateurs se sont intéressés tant à des animaux à durée de vie courte qu'à
des animaux à durée de vie longue.
Il faut savoir que certains chercheurs estiment que la croissance de la
mortalité avec l'âge (l'aspect exponentiel) n'est pas une règle absolue.
Certaines espèces de poissons, notamment les sébastes, certaines espèces de
reptiles, notamment des tortues et même certaines espèces d'oiseaux pourraient avoir
un taux de mortalité qui ne croît plus au-delà d'un certain âge. Il en va de
même pour d'assez nombreux invertébrés (homards, oursins, anémones de mer,
quahogs,...). Certains parlent même de "sénescence négative", d'une
mortalité annuelle décroissant pour les individus âgés. En ce qui concerne les
vertébrés, actuellement, il n'y a pas d'expérimentation animale pour vérifier
ces hypothèses. Puisque ces animaux vivent très longtemps, si des tests peuvent
être réalisés pour des animaux en captivité, les résultats se feront
probablement attendre pendant des décennies.
Par ailleurs, l'expérimentation animale pose des questions éthiques. Les
tests sur des animaux de laboratoire, parmi lesquels les rats et les souris,
font l'objet d'intenses et passionnés débats publics. Il est à remarquer que
l'élimination de leurs lointains cousins qui se trouvent dans les caves,
greniers et égouts souvent à quelques mètres des laboratoires ne fait l'objet
de presque aucune interrogation alors même que la mise à mort se fait généralement
par l'usage d'anticoagulants (mort aux rats) provoquant un décès lent et
douloureux. Ceci étant écrit, en ce qui concerne les expérimentations relatives
à la longévité, l'objectif étant de permettre une vie plus longue en bonne
santé, le strict respect des règles légales et des principes de respect des
animaux élevés est une garantie éthique, mais aussi une garantie d'efficacité.
Il faut donc y être extrêmement attentif.
Parmi les mammifères, les animaux les plus testés pour la longévité,
comme d'ailleurs pour toutes les expérimentations dans le domaine de la santé, sont
les rats et les souris. Ceux-ci ont une espérance de vie de moins de trois
années. Les autres animaux souvent sujets d'expérimentation, notamment
les cobayes et les lapins ne sont presque jamais sujets d'expériences
relatives à la longévité. Il en va de même pour les porcs. Ce qui est
regrettable. En effet, les cochons présentent une très grande ressemblance
physiologique avec les êtres humains, mais avec une durée de vie maximale
nettement plus courte (environ 25 ans maximum).
Pour ce qui concerne les primates, tant pour des raisons éthiques qu'économiques
et techniques, les expérimentations sont actuellement rares. Ce sont
principalement des singes rhésus qui ont été sujets d'expérimentation pour ce
qui concerne l'impact de l'alimentation sur la longévité.
Un autre mammifère qui est parfois étudié est le rat-taupe nu car ce
rongeur bénéficie d'une longévité exceptionnellement grande.
Les tests ne s'arrêtent pas aux mammifères. Ils concernent également des
animaux de plus petite taille, principalement deux espèces célèbres dans les
laboratoires: les drosophiles et le ver nématode Caenorhabditis elegans.
Ces espèces ont une espérance de vie courte et elles ont bien sûr beaucoup moins
en commun avec l'être humain qu'une souris, même si plus de 50 % du patrimoine
génétique de la drosophile est commun avec celui de l'être humain.
Quels sont les tests qui sont effectués?
Deux catégories d'expérimentations peuvent être distinguées:
L'observation dans des circonstances
"naturelles" modifiées
L'objectif de ces tests est de comprendre les mécanismes
du vieillissement dans des situations qui ne supposent pas une
modification des animaux eux-mêmes. Il s'agira de savoir quels sont les facteurs
qui influencent l'animal de manière positive ou négative. Parmi les nombreux facteurs
d'influence qui ont déjà été testés figurent:
- l'apport calorique,
- la luminosité,
- la température,
- le sommeil,
- le taux d'activité,
- le niveau de bien-être,
- l'activité sexuelle,
- l'apport en oxygène.
Les tests de nouvelles substances et
les thérapies géniques
Il s'agit de trouver des nouvelles substances chimiques ou
pharmaceutiques ou des modifications génétiques qui permettent aux animaux une
durée de vie plus longue et en bonne santé. Parmi les innombrables tests qui
ont déjà été effectués, il y a ceux qui concernent
- des produits fluidifiant le sang,
- des médicaments couramment utilisés chez l'homme,
- des additifs alimentaires,
- des produits toxiques à forte dose, mais qui pourraient avoir un effet
positif à faible dose (hormèse),
- des hormones et des vitamines,
- des thérapies géniques supposant une modification de l'animal à la
naissance
- des thérapies géniques supposant une modification thérapeutique sur des
animaux adultes,
- l'introduction de cellules-souches.
Pour toutes les expérimentations, idéalement, le travail des chercheurs
devrait comparer plusieurs groupes d'animaux vivant dans des conditions similaires,
avec la garantie d'absence de toute influence possible de l'expérimentateur de
manière consciente ou inconsciente (études randomisées en double aveugle). Malheureusement,
beaucoup d'études, même parmi celles largement médiatisées, ne respectent pas
encore ce principe.
Une des raisons principales de la lenteur des expérimentations est la
lenteur du processus de vieillissement. Une méthode relativement simple pour détecter
plus rapidement des effets serait de débuter les tests sur des animaux déjà
âgées, par exemple sur des souris de 18 mois (âge du début de la
"vieillesse" pour cet animal) et non pas sur des jeunes adultes de 6
mois.
Nous ne savons pas si la première personne qui atteindra l'âge de deux
cents ans est déjà née et, par définition, nous ne le saurons pas avec certitude
avant la fin de ce siècle. En effet, le citoyen du monde le plus âgé
aujourd'hui a 116 ans, il ne pourrait atteindre 200 ans qu'en 2098. Par contre,
nous avons une chance de connaître la première souris vivant deux fois plus
longtemps qu'une souris ordinaire dans moins d'une décennie.
Bonne nouvelle du mois: financement
collectif pour prolonger la vie en bonne santé de souris ukrainiennes
Des chercheurs ukrainiens, alliés à
des partenaires notamment français, britanniques et belges ont lancé un "crowdfunding"
pour effectuer des expérimentations sur des souris âgées (20 mois). L'objectif
était de récolter un financement de 15.000 dollars. Il a été largement et
rapidement dépassé et ce sont plus de 22.000 dollars qui permettent déjà des
tests dans le domaine de longévité. Par-delà ce montant encore de petite
taille, nombre d'autres projets sont en développement dans de nombreux lieux de
recherche.
Pour en savoir plus
- De manière générale, voir notamment:
- http://heales.org, http://sens.org et http://longecity.org
- A propos du prix de la souris Mathusalem: http://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_de_la_Souris_Mathusalem
- Pour en savoir plus à propos du crowdfunding cité:
- http://www.indiegogo.com/projects/i-am-a-little-mouse-and-i-want-to-live-longer
- Source de l'illustration: Logo du prix de la Methuselah Foundation
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