samedi 6 juillet 2013

La mort de la mort. Numéro 51. Juin 2013.

Si, il y a 200 ans, vous aviez affirmé que 200 ans plus tard, il serait possible de s'asseoir confortablement et tranquillement sur une chaise dans le ciel, à l'intérieur d'un gros tube de métal qui ne s'écraserait pas au sol, combien ceci serait-il apparu probable? (traduction). Franco Cortese, Institute for Ethics and Emerging Technologies. Juin 2013.


Thème du mois : Ce que nous pourrions collectivement changer dès aujourd'hui pour vivre plus longtemps


Chaque jour, nous gagnons près de six heures d'espérance de vie. Ce gain s'explique globalement par les progrès en matière d’hygiène, de comportements individuels et de niveau de vie, mais aussi en médecine. Il est parfois estimé que les progrès médicaux et les autres progrès (hygiène, niveau de vie, ...) y contribuent environ à parts égales. 

Ce qui est notable est que, pour les personnes les plus âgées, les gains moyens de durée de vie sont en croissance ces dernières décennies alors que ce n'était pas le cas auparavant. Or, la progression de l'espérance de vie des individus les plus âgés s'explique pour une plus grande part par les progrès des soins médicaux, alors que la diminution de la mortalité chez les plus jeunes, surtout dans les pays du sud, s'explique pour une plus grande part, par une amélioration des situations économiques, la diminution des morts violentes (guerres, accidents,...), une meilleure prévention des risques,... Autrement dit, c'est de plus en plus la médecine qui explique les gains de longévité des plus âgés.
La présente lettre aborde des progressions ayant une dimension médicale, concernant principalement des personnes âgées. Il s'agit de changements qui pourraient techniquement être débutés en quelques mois et dont l'efficacité, largement admise, serait mesurable dès leur mise en œuvre.
1. Prévention : la limitation des maladies cardio-vasculaires, des cancers et dans une moindre mesure des maladies neurodégénératives par les changements d'habitudes de vie Supprimer la consommation du tabac et diminuer ou supprimer la consommation d'alcool aurait un effet immédiat important. Les politiques publiques entamées dans de nombreux pays ont déjà limité fortement la mortalité due à ces causes. Mais des progrès importants peuvent encore être faits en interdisant la publicité, en interdisant la consommation dans des lieux publics et en informant mieux sur les dangers liés à la consommation. Les améliorations peuvent aussi être obtenues en mettant l'accent sur les agréments d'une convivialité sans dépendances par l'alcool et le tabac ainsi qu'en favorisant le développement des pratiques culturelles nouvelles. La limitation de la consommation de l'alcool, outre ses effets positifs directs, entraîne également une diminution indirecte de la mortalité par la réduction des violences notamment familiales, des accidents de la route et des imprudences en général. Limiter les apports alimentaires excessifs et inciter à des efforts physiques modérés suffisants est également utile. Il faut cependant noter qu'il n'y a de consensus large ni sur la quantité idéale de nourriture, ni sur sa composition, pas plus que sur l'intensité et la durée des efforts physiques nécessaires. Il est rarement contesté qu'un indice de masse corporelle très élevé est néfaste (plus de 80 kilos pour une femme de 1,60 mètre par exemple). Il est aussi rarement contesté que l'absence de tout exercice soit néfaste. Mais, pour le reste, le consensus et les études statistiques restent assez incertaines, les consensus relatifs au type d'alimentation étant particulièrement fréquemment remis en question.

2. Prévention : la limitation des conséquences des maladies liées au vieillissement par la prévention de risques, la mesure des paramètres vitaux et les instruments individuels détectant les défaillances

Il est possible, dès aujourd'hui, à la majorité des citoyens, en tout cas dans les pays au niveau économique élevé, d'acquérir des appareils ou des applications logicielles qui permettent de mesurer aisément les paramètres physiologiques tels les battements du cœur, la quantité d'exercice effectué, la quantité de nourriture absorbée. Ces instruments de mesure incitent à limiter les excès et peuvent avertir d'écarts physiologiques anormaux. Il serait aussi d'ores et déjà possible, pour toute personne âgée d'avoir une sorte de bracelet qui avertirait immédiatement en cas de modification des fonctions vitales nécessitant une intervention.

Par ailleurs, le domaine dans lequel les investissements tant financiers que médiatiques sont de loin les plus importants actuellement, est le domaine de la prévention des accidents, principalement les chutes. Les chutes provoquent, outre les traumatismes directs, une diminution de la mobilité, tant du fait de l'immobilisation pour la convalescence qu'ensuite, notamment par peur d'une nouvelle chute. Tous les moyens techniques limitant le risque de chute et veillant à une prise en charge rapide après un éventuel incident, sont donc très abondamment étudiés. Des mesures plus efficaces de prévention et également de détection rapide des chutes (aisée grâce aux progrès technologiques) permettraient des gains importants. Il faut également noter que, chez les individus les plus âgés, particulièrement en dehors du milieu familial traditionnel, il faut souvent être attentif, non pas à éviter l'obésité, mais, au contraire, veiller à maintenir une nutrition et une hydratation suffisantes.

Enfin, le maintien d'activités intellectuelles et sociales, qui peut être mieux organisé, notamment par le financement et l'encouragement d'activités pour les personnes âgées, mais aussi par des applications logicielles entraînant la mémorisation ralentit le développement des maladies neurodégénératives et donc permet une vie plus longue et de meilleure qualité. De plus, de manière indirecte, les investissements en temps et en énergie à l'intention des personnes âgées améliorent leur cadre de vie, leur confort, leur bien-être et réduisent le risque de dépression. En conséquence, la qualité et la durée de la vie progressent.

3. Limitation des maladies cardio-vasculaires par l'absorption de substances
Le nombre de maladies cardio-vasculaires à l'issue fatale est en diminution progressive, mais reste important dans tous les pays à niveau de vie élevé. L'âge est, de loin, le 1er facteur de risque. L'absorption de médicaments visant à fluidifier le sang diminuerait les maladies cardio-vasculaires de manière importante pour un grand pourcentage d'individus au point qu'il serait souhaitable de donner ce type de médicament systématiquement (sauf contre-indication) à partir d'un certain âge. Cet âge pourrait être par exemple 55 ou 60 ans. Un médicament dont l'usage pourrait être systématisé est la très classique aspirine. Certains ont également proposé l'usage d'une pilule composée de différentes substances à l'efficacité reconnue. Les experts parlent de "polypill" pour ce médicament composite.

4. Chirurgie de pointe

Pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires comme pour opérer des tumeurs cancéreuses, la chirurgie de pointe est de plus en plus disponible. Pour diverses bonnes et moins bonnes raisons, les centres hospitaliers d'une certaine taille opèrent généralement pour des affections très diverses. Or aujourd'hui, le matériel médical de chirurgie est encore coûteux et exige de plus en plus une dextérité peu commune (même si l'appareillage est de plus en plus  automatisé). Une diminution de la mortalité pourrait être obtenue en permettant une meilleure répartition des actes médicaux, chaque hôpital opérant pour un type de chirurgie. Cette spécialisation devrait être accompagnée d'une mise en commun des données médicales, chaque fois que le patient donne son consentement éclairé. Les données peuvent voyager instantanément, les équipements pas. De plus, une attention plus grande aux spécificités des patients pourrait également être apportée, parallèlement à la spécialisation des équipements, les hôpitaux multifonctionnels étant souvent particulièrement "déshumanisés".

Par ailleurs, dans le domaine de la chirurgie, comme pour les autres soins, si une plus grande priorité était donnée aux personnes plus âgées, qui sont aussi les plus fragiles, la mortalité pourrait également diminuer. Actuellement, c'est plutôt la situation contraire qui prévaut. La diminution des capacités physiques des individus les plus âgés étant inévitable à terme, les efforts pour ralentir cette dégradation sont moindres au fur et à mesure de l'avancée en âge. Autrement dit, lorsque les signaux de diminution de capacité se multiplient, l'effort pour diminuer l'impact du vieillissement diminue.

5. Lutte contre les cancers

Depuis le tournant du siècle, l'évolution de la facilité de l'analyse du patrimoine génétique est vertigineuse tant du point de vue financier (coûts en diminution rapide) que de celui de la rapidité d'analyse (des années étaient nécessaires, les délais se comptent désormais en journées). Les progrès de l'observation et de la compréhension des cellules cancéreuses permettent aujourd'hui de comprendre qu'il n'y a pas UNE maladie comme le cancer, ni même UNE maladie comme le cancer du poumon, du sang, ... En fait, (presque?) chaque cas de cancer est spécifique, relevant de mutations de cellules propres à chaque personne atteinte.

Aujourd'hui l'analyse systématique du génome pour chaque cas de cancer est déjà possible techniquement et financièrement, pour une partie importante de la population. Si elle était effectuée et si les résultats étaient partagés de manière généralisée, le choix d'un traitement plus adapté serait immédiatement possible et l'efficacité, dans certains domaines, croitrait de manière exponentielle.

6. En synthèse : une vie plus longue est envisageable grâce à la médecine de demain, mais aussi par l'optimisation de celle d'aujourd'hui

Les lignes qui précèdent décrivent les domaines les plus vastes pour lesquels des techniques existantes sont sous-utilisées. En les optimalisant, une limitation assez forte de la mortalité des personnes âgées pourrait être obtenue en quelques mois. Vivre plus longtemps en bonne santé grâce aux progrès médicaux ne dépend donc pas seulement de la recherche médicale et de moyens financiers, mais parfois simplement de la mise en œuvre de ce qui est disponibl.


La bonne nouvelle du mois : le nombre de décès suite à des maladies cardio-vasculaires continue à diminuer

Une étude de l'Université d'Oxford, menée par la docteure Melanie Nichols et parue dans l"European Heart Journal " établit que, durant les 30 années écoulées entre 1989 et 2009, le nombre de décès de maladies cardio-vasculaires diminue régulièrement dans la plupart des pays de l'union européenne pour les hommes comme pour les femmes. La mortalité actuelle est fortement réduite, souvent de moitié, par rapport à celle d'il y a 30 ans. La diminution semble donc se poursuivre sans signe d'essoufflement ces dernières années tant grâce aux progrès de la médecine que par la diminution de certains risques (consommation de tabac).


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